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Elle a fait quatre fois le tour du vieux Peûl-Van ;
Malgré les joncs, les rocs, les bruyères arides,
Traversant à grand bruit la Trêve-des-Druides,
Elle franchit dans l’ombre, avec ses blancs coureurs,
Le Village-du-Barde et celui des Terreurs ;
Tous les oiseaux de nuit la suivent ; elle longe
Le bois de Garz-Cadec, et, d’un bond, tombe et plonge
Jusqu’au creux du vallon ; la Charrette-de-Mort
En cahotant remonte et roule dans Coat-Lorh !
 
Guenn, ses cheveux épars sur sa tête grisâtre,
S’est levée en sursaut sur la pierre de l’âtre :

« Je l’entends ! je l’entends ! c’est le Char-de-l’Ankou[1] !
Hoél s’en va ! la Mort l’emporte dans son trou !
Prenez garde en mourant qu’un de ses yeux vous voie !
Prenez garde surtout que son âme se noie !
Videz tous les bassins, tous les seaux, tous les muids !
Jetez l’eau de fontaine et jetez l’eau de puits ! »

Atroce ! ô vision sauvage ! âme en délire !
Ah ! si le barde encor chantait avec la lyre,
À ces cris insensés, sortis de la forêt,
Avec ses cordes d’or la lyre se romprait ;
Car au fond de mon cœur, cette harpe vivante,
J’ai senti tous mes nerfs tressaillir d’épouvante !
Oui, celui qui naguère, assis au Pont-Kerlô,
Laissait pendre en riant ses pieds au fil de l’eau,
Et chantait tout le jour sur la lande fleurie
Avec un autre enfant qui s’appelait Marie ;

  1. L’Oubli, surnom de la Mort.