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Bravant les nains hideux, les spectres, les serpents,
Tous les monstres ailés, tous les monstres rampants,
Bravant (autre péril) les doux regards des fées
Qui, leurs voiles au vent, leurs robes dégrafées,
Suivaient dans le vallon les sons errants du cor
Et peignaient leurs cheveux autour du perron d’or ;
Ô bois d’enchantements, vallon, source féconde
Où se sont abreuvés tous les bardes du monde,
Est-ce vous ? est-ce vous ? terre morne et sans voix.
Qui vous reconnaîtrait sous vos noms d’autrefois ?

Oui, c’est elle, l’honneur des sources d’Armorique,
Sainte en nos jours chrétiens comme au vieux temps féerique !
Voyez (dans tous les puits quand tarit l’eau du ciel),
Des hauteurs d’Héléan, des vallons de Gaël,
Voyez vers Baranton, à travers les bruyères,
Avec les croix d’argent s’avancer les bannières,
Tous y tremper leurs mains, et les processions
Entonner à l’entour l’air des Rogations !
Et moi, moi que Paris nourrit de ses doctrines,
Fontaine, j’ai voulu boire à tes eaux divines :
Tandis que mes amis dans leur grande cité
Entre eux paisiblement parlaient de la beauté,
Je suis venu m’asseoir seul dans ton marécage ;
Là j’appelai trois fois Merlin, barde sauvage,
Et, penché sur ta source avec dévotion,
Je bus à m’enivrer l’eau d’inspiration.
 
Ravive donc mes sens, ô magique fontaine !
L’esprit noir du Huel-Goat vers sa mine m’entraîne :
Pour marcher d’un pied sûr dans ce monde infernal,
Baranton, j’ai besoin d’un puissant cordial !…