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Mais déjà s’éloignait la bande solennelle,
Et tous les assistants s’écartaient devant elle :
Parmi les plus hardis quelques-uns se penchant
Pour voir ceux qui toujours se cachent en marchant ;
D’autres, tout effarés, s’enfuyant vers les grèves,
Comme pour échapper aux spectres de leurs rêves.
De sorte qu’un vieillard : « Non, jamais un tel vœu,
Même aux plus criminels, ne fut prescrit par Dieu !
Jamais, hormis les morts entourés de leurs langes,
Les hommes n’ont marché sous ces voiles étranges !
Vous-mêmes, dites-nous si vous êtes des morts !
Hélas ! dans tous les temps ils ont aimé ces bords.
Autrefois, un Esprit venait, d’une voix forte,
Appeler chaque nuit un pêcheur sur sa porte ;
Arrivé dans la baie, on trouvait un bateau,
Si lourd et si chargé de morts qu’il faisait eau ;
Et pourtant il fallait, malgré vent et marée,
Les mener jusqu’à Seîn, jusqu’à l’île sacrée…
Aujourd’hui, sur la mer ils flottent tout meurtris,
Et l’horrible vent d’ouest nous apporte leurs cris ;
Sur le cap on les voit errer jusqu’à l’aurore,
Mais jamais en plein jour on ne les vit encore.
Faut-il prier pour vous ? nous prîrons ; mais, hélas !
Si vous êtes des morts, ne nous effrayez pas.
— Nous sommes des vivants ! suivez-nous à l’église,
Et ces habits de deuil qui font votre surprise,
Ces voiles tomberont ! Vous entendrez nos chants !
Ceux qui semblent des morts deviendront des vivants ! »
 
Et bientôt dans l’église, au branle de la cloche
Dont la voix grossissait toujours à leur approche,
Le cortège voilé vers l’autel s’avançait,