Page:Brizeux - Œuvres, Histoires poétiques III-VII, Lemerre.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je le retrouve encor, le fleuve de l’Ellé,
Et l’izôle où mon cœur est toujours rappelé !
Eaux sombres de l’Ellé, claires eaux de l’Izôle,
De vos bords enchantés je dirais chaque saule !

Or la foule remplit les murs de Kemperlé,
Et les marchands forains ont partout étalé :
Mais les draps les plus fins, les toiles les plus blanches.
Les tabliers soyeux, parures des dimanches,
N’attirent point Nola : de portail en portail,
Puis sur l’immense place, au milieu du bétail,
Elle erre bien longtemps ; enfin une boutique
Adossée à la tour de l’église gothique
L’arrête ; elle s’approche, un jeune homme était là ;
Voici, sous un auvent, comme elle lui parla :

« C’est moi. Pourquoi me fuir ? Lorsque dans une fête
J’arrive, en rougissant vous détournez la tête.
Viendront les soirs d’hiver : vous verrai-je, à mon nom,
Comme de ce marché fuir de chaque maison ?
Suis-je donc vieille ou laide ? Imprudente la femme,
Malheureuse à jamais, qui laisse voir son âme !
En un jour bien amer vous trouvant généreux,
J’avais dit dans mon cœur : « Je veux faire un heureux !
« Nos biens sont différents, mais notre âge est le même,
« Et ma fortune et moi serons à lui s’il m’aime… »
Oh ! vous ne m’aimez pas ! Plus âpre, chaque jour,
L’orgueil dessèche en vous la tendre fleur d’amour ! »

Il reprit : « Je suis tel que dans notre jeune âge.
En moi la fleur d’amour rit de l’orgueil sauvage.
Un cœur simple et loyal me dit seul mon devoir.