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Dit : « Ma mère est malade ! » Aussitôt le recteur,
Avec l’huile prenant le pain consolateur,
Me choisit pour son clerc… Ô belle matinée !
Ô printemps de ma vie ! ô printemps de l’année !
La verdure et les fleurs, les nids et les chansons !
Des troupeaux en amour courant sur les gazons !
Les branches sur nos pas secouaient leurs rosées,
Et des vapeurs flottaient aux collines boisées,
Et les mouches à miel, les papillons joyeux
Passaient et se croisaient légers devant mes yeux ;
N’était-ce point assez de fraîcheur matinale
Pour faire épanouir une âme virginale ?
Nous arrivons. La femme était là sur son lit ;
Le prêtre s’agenouille à son chevet ; il lit
Les mots du rituel ; penché vers la malade,
Il l’exhorte, et sa voix ranime et persuade ;
Il étend l’huile sainte et présente le pain.
« Heureuse ! disait-il ; bientôt sur le chemin.
Femme heureuse ! Oh ! mourir si près du grand dimanche !
Du tombeau dans trois jours elle aussi sera franche. »
Avide d’avenir, il rêvait un tel sort ;
Ses jours, il les aurait donnés pour cette mort…
Dans un autre avenir, moi, je plongeais mon âme :
C’était la terre en fleur, c’était le ciel en flamme
Qui vers eux attiraient ma pensée et mes sens ;
J’ouvrais à la beauté mes bras adolescents.
Or une douce fille, enfant comme moi-même,
Légère, les pieds nus, vint à passer : « Je t’aime ! »
Lui dis-je dans mon cœur. Je vis briller ses yeux,
Et je suivis ma route encor plus radieux.
La nature, l’amour, la parole d’un prêtre.
Avaient en un seul jour fécondé tout mon être. —