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Sur ses gains d’autrefois avait pu, l’habile homme,
Placer chez le notaire une si forte somme,
Qu’il acheta comptant, en beaux et bons deniers,
Trois fermes qui feraient l’orgueil de trois fermiers,
C’est encore un mystère. Avant qu’il eût pris femme,
Ses gages paraissaient tout son bien. Sur mon àme,
C’était un fin renard… mais un grand jardinier,
Ô ma voisine, un maître, un roi dans son métier !
Cependant triste et vieux, trop souvent à l’office,
Il avait à souffrir de la gent du service.
Ses arbustes taillés, mais lui faible et bien las,
Le soir, quand il rentrait à l’heure du repas,
Sa place au coin du feu maintes fois était prise,
Et le chagrin ridait alors sa barbe grise ;
Car, son travail fini, dans un coin du foyer
De grand cœur il passait une heure à sommeiller :
Peut-être, calculant ses immenses richesses,
Il cherchait l’héritier digne de ses largesses.
Voici de ça trois ans : à son retour, le soir,
Voyant l’escabeau libre, heureux il va s’asseoir,
Quand (par un vilain tour), plus alerte, un jeune homme,
Pour cette lâcheté méritant qu’on le nomme,
S’en empare, et le vieux, dont bouillonnait le sang,
Dut, chassé de partout, descendre au bout du banc,
Primel, le journalier, seul, pâle de colère,
Au premier des méchants préparait son salaire ;
Comme un dogue saxon il lui sautait au cou,
Lorsqu’une belle enfant, se levant tout à coup
(Celle qui devant nous, légère, danse et passe),
Cria : « Venez ici, père, et prenez ma place ! »
Muet, il obéit ; mais, on l’a dit plus tard.
Des pleurs tendres brillaient sous les cils du vieillard.