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Dès que la voix de l’art interroge, il répond !
Comme l’aile des vents sur la cime des lames,
L’émotion courait rapide sur ces âmes,
Un mot assombrissait leurs yeux, ou, sans efforts,
Le rire sur leur lèvre arrivait à pleins bords.
Oh ! lorsque le récit, grave, mais sans emphase,
Loin du monde présent les tenait en extase,
Malheur à l’importun qui ramenait du ciel
Ces esprits enivrés ! ainsi le bon Mikel,
Obligé de passer, de repasser sans cesse,
Pauvre mousse, essuyait toujours quelque rudesse.
« Mikel, disais-je alors, sur le banc assieds-toi.
En maître tu sais lire, un instant lis pour moi. »
Et le cercle s’ouvrait, et ce timbre sonore
Au charme du récit prêtait son charme encore,
Et des yeux des marins mes yeux voyaient sortir
Des larmes, à la voix de cet enfant martyr.
 
Poésie, ô parfum, accord, divine flamme,
Du livre de l’enfant, des chansons de la femme
Ainsi tu t’exhalais ! Ainsi pacifié,
Le plus dur se laissait aller à la pitié !

Une nuit (froide nuit où, selon ma coutume,
Je marchais sur le pont en défiant la brume).
Le patron m’aborda, puis sa main dans ma main :
« Ah ! si l’on m’eût montré plus jeune mon chemin !
Me dit-il brusquement, car je suis un sauvage…
Mais on peut, grâce à Dieu, se refaire à tout âge. »
 
Au point du jour, le vent souffla plus attiédi,
Sur nous se déployait le ciel bleu du Midi.