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Le plus vieux souleva son vieux bonnet de laine,
Et s’essuyant le front, et reprenant haleine :
« C’est un vrai paradis ! Des taillis, des ruisseaux,
Et partout la chanson plaisante des oiseaux !
Quand le moulin moulait, moi, sous les feuilles vertes,
J’avais, comme un enfant, les oreilles ouvertes
À ces divins chanteurs ! La plainte des courlis,
La plainte de la vague aux éternels roulis,
Voilà tous nos concerts… Mais l’hiver, la tempête
A des mugissements qui font lever la tête…
J’aime mieux mon pays que leurs prés verts et gras.
Si nos moulins sans air pouvaient mouvoir leurs bras,
Serais-je en terre ferme ? Il fallait bien, filleule,
Venir où l’onde coule et fait tourner la meule.
Dans notre île aujourd’hui, nulle ombre où s’abriter.
La langue des brebis n’a plus rien à brouter.
Le sol brûle les pieds. Sur l’herbe sèche et lisse
De nos dunes à pic, à chaque pas on glisse.
On m’a dit cependant que des chênes sacrés
Ombragèrent ces rocs du soleil dévorés,
Dévorés par les vents durant la saison noire.
Et des nids gazouillaient sur les branches ?… Que croire
De soi-même ennemi, par le fer et le feu
L’homme aura follement détruit l’œuvre de Dieu…
Çà ! j’ai toujours des pleurs au fond de ma poitrine.
En barque, matelots ! Chargeons notre farine !
Aux rames cette nuit ! À la pointe du jour,
La tourbe fumera joyeuse dans le four. »