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Puis c’était un silence où des râles, des plaintes,
Comme font deux lutteurs au fort de leurs étreintes.
Ou dans les mois d’hiver, au fond des chemins creux,
Des dogues affamés se déchirant entre eux.
« Ô lâche qui t’en viens attaquer la vieillesse !
Mais tremble, il reste encore un aide à ma faiblesse ! »
Lors, courant vers sa ferme, il pousse les battants
De la porte, et dans l’âtre, où, gloire des vieux temps,
Son glaive rayonnait près d’un fusil de chasse.
Il s’arme et reparait fier et bouillant d’audace !…
Mais que peut un vieillard ? Las ! son plus ferme appui
Faiblit entre ses mains et l’entraîne avec lui.
 
« Mon père, mon bon père ! Homme autrefois superbe,
Vos blancs cheveux épars, est-ce vous là sur l’herbe ?
Le fer de vos aïeux tombé de votre main,
Mon père, est-ce vous là mourant sur le chemin ?
Ouvrez, ouvrez les yeux à la voix de vos filles,
Qui, vos cris entendus, saisissant leurs faucilles,
Venaient à travers champs vous aider, mais trop tard…
Quoi ! nul jeune n’a pu secourir le vieillard !

— Voix si douce à mon cœur, ô ma chère Renée,
Je vous entends, et vous, sa digne sœur aînée !
Mais venez, soulevez mon corps, guidez mes pas…
Ah ! je revois le ciel et je suis dans vos bras !
Oui, voilà le sentier, le tournant de l’écluse,
Et l’arbre où me guettait le renard plein de ruse :
Mais lorsque mon vengeur apparut tout à coup,
Oh ! comme le renard s’enfuit devant le loup !
Si vous l’aviez pu voir au bruit de notre lutte,
Terrible, échevelé, s’élancer de sa hutte,
Et brandir son bâton, le front haut, l’œil hagard !…