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Et la bête, soumise au charme caressant,
Recule, puis se couche et clôt ses yeux de sang ;
Mais qu’un instant la harpe elle-même sommeille,
La bête menaçante en sursaut se réveille.
 
Alors le malheureux jette un peu de son pain
Au monstre dont les dents s’allongent par la faim ;
Puis il reprend son arme, et l’instrument sonore
Sous les savantes mains de s’animer encore.

Ainsi durant trois jours, ainsi durant trois nuits,
Des pâtres attirés par ces étranges bruits,
Et les serfs, les seigneurs, des clercs, plus d’une dame
Que le malin rimeur avait blessés dans l’âme,
 
Sur la fosse penchés, disaient : « Salut, Rî-Wall !
Lequel sera mangé, le barde ou l’animal ? »
Et la troupe partait en riant, et leur rire
Du sombre patient aigrissait le martyre.
 
Seul, Roz-Wenn le chanteur vit d’un œil de pitié
Celui dont il sentit souvent l’inimitié :
« Prenez, lui cria-t-il, le bout de mon écharpe ! »
Mais le barde expirait tout sanglant sur sa harpe.

La fosse fut comblée, et la main dans la main.
Dames, clercs et seigneurs chantaient le lendemain :
« Rî-Wall est chez les morts, que l’enfer lui pardonne !
Rî-Wall chez les vivants ne mordra plus personne. »