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HISTOIRES POÉTIQUES

 
Bertram, modérez-vous ! ô travailleur superbe,
De son immense faux comme il va rasant l’herbe !
lit partout dans les foins passe et luit l’acier bleu.
Tous les bras sont raidis et les gosiers en feu.
« A présent, la plus lente à retourner sa meule
Devra tendre la joue. Oui, fût-ce ma filleule. »
Or Bertram fut si vif et si lente Aliza,
Que cet heureux faucheur par deux fois l’embrassa.

V

la génisse

À Monsieur Louis Coulon

Elle n’avait connu, tout l’hiver, que la crèche,
Et, dans un coin obscur, son lit de paille sèche.
Si nous la visitions, dès le bruit des verrous,
Tendant son mufle noir, roulant ses grands yeux doux,
Elle se redressait de sa morne attitude,
Pour passer sur nos mains sa langue épaisse et rude :
Heureuse si nos mains elles-mêmes grattaient
Son poil fauve où déjà les deux cornes pointaient ;
Mais à notre départ, ennuyée et farouche,
Elle se laissait choir lourdement sur sa couche.




Cependant la génisse, au bercail tout l’hiver,
Avril venant à luire, on l’amène en plein air.
Au midi rayonnait l’astre d’or : frémissante,
Soudain elle s’arrête, et sa queue incessante
Fouette ses flancs, la bave inonde son museau,