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HISTOIRES POÉTIQUES

Il sourit à la voir. Surmontant ses douleurs,
Il lui montra longtemps et ses fruits et ses fleurs,
Puis ils vinrent s’asseoir dans un coin du parterre,
Aux marches d’une chambre en deuil et solitaire.

II

C’était un frais jardin entoure d’un grand mur,
Et dont le jardinier, vert encor bien que mûr,
Avait nom Joasin : les pêches et les poires.
Les vignes d’où pendaient de longues grappes noires,
De riches espaliers, un puits large et profond
Dont les seaux en été ne trouvaient pas le fond,
En faisaient un délice ; et quand, l’après-dînée,
De ses nombreux enfants la dame environnée
De la ville arrivait, et que par le pourpris
Volait l’essaim joyeux, c’était un paradis.
Là le bon jardinier, heureux avec sa femme.
Vécut longtemps ; l’un d’eux trop tôt dut rendre l’âme ;
À son mari penché sur le bord de son lit.
En mots entrecoupés, pâle et froide, elle dit :
« Je meurs, en vous laissant presque une autre moi-même.
Adieu ! Pour bien l’aimer, prenez celle que j’aime.
Je meurs !… » Ah ! de quelle autre, à son dernier moment.
Parlait-elle ? Or, voici, passé l’enterrement,
Les mois de deuil passés, que sous les murs plus d’une,
Désireuse d’entrer, rôdait après la brune.
Mais la clef venait-elle à tourner, une voix.
Des logis d’alentour bien connue autrefois.
Aigre, aiguë et pareille à la voix de l’épouse.