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« Le poète d’élite et sans veine banale,
Brisant des mots usés l’empreinte triviale,
Le poète sincère et qui se foit aimer,
Tel que je le conçois sans pouvoir l’exprimer :
Ce qu’il faut, avec l’art, pour former ce poète,
C’est un esprit exempt de pensée inquiète,
Sans prévoyance amère et sans amers regrets ;
C’est une âme sereine, éprise des forêts,
Et qui peut avec vous, ô Muses adorées,
Librement s’abreuver aux fontaines sacrées[1]. »

II

Oh ! j’arrive ! — Avec vous qu’il fait bon voyager,
Muses ! comme le cœur, le pied devient léger,
Quel immense tableau montre cette terrasse !
Hirondelle, on voudrait s’élancer dans l’espace.
Ô splendide vallon, vers toi je tends les bras !
Mes yeux à t’admirer ne se lasseront pas.
 
Mais j’aperçois, filant sur un monceau d’ardoise,
La vieille de l’hospice et qui s’appelle Ambroise :
« Notre belle rivière, aussi vous l’admirez !
Ceux qui sans perdre haleine ont monté ces degrés
S’arrêtent comme vous en extase, et moi, vieille,
Je me sens rajeunir devant cette merveille.
Avec mon dos voûté sous mes quatre-vingts ans,
Femme de Châteaulin, rarement j’y descends.

  1. Pour ces vers de Juvénal, lire la belle traduction de M. Villemain dans son rapport à l’Académie française du 30 août 1855.