Page:Brizeux - Œuvres, Histoires poétiques I-II, Lemerre.djvu/263

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


VII

LA MÈRE DU CONSCRIT

À l’instituteur, Monsieur Jean Le Bek

Les uns gais et chantant et les autres en larmes,
Tous encor dans l’habit du pays et sans armes.
Ils passaient ; mais on fit halte sur le chemin.
Un d’eux était du bourg : or, lui serrant la main,
Ses parents l’entouraient et tous ceux de son âge,
Qui lui versaient à boire en lui disant : « Courage ! »
Et, le cœur attendri par ces derniers adieux.
Vers des maisons, plus loin, comme il tournait les yeux,
Une femme sortit, folle, de sa chaumière.
En lui sautant au cou… C’était sa vieille mère !




Ô pleurs ! sanglots ! baisers ! et deuil morne, étouffant,
De celle qui perd tout en perdant son enfant !…
Mais quand partit la troupe ! Alors la pauvre femme
Dans un nouvel élan n’écouta que son âme.
Elle suivait. « Ma mère, allons, ma mère, adieu !
— Non, mon fils, mon enfant ! Encore, encore un peu ! »
Et toujours elle va. Lui, tendre, il la querelle.
« Pour la dernière fois jusque-là, » disait-elle.
Enfin, et par pitié, de force il se sauva.
« Ah ! mon enfant, mon fils ! Je meurs… mon cœur s’en va ! »