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toujours mûr et prêt à être cueilli. Cela est admirable. Et ces romans échappent à la banalité courante. Ils sont moraux sans froideur ; ils disent quelque chose ; ils instruisent le lecteur et le réconfortent. L’auteur s’attaque courageusement aux abus ; il peint loyalement les mœurs de son temps. Il s’occupe de l’armée dans le Lieutenant Bonnet, du clergé dans Marié par les prêtres, des magistrats dans Complices, des médecins dans le Mari de Charlotte. Si ces livres sont un peu massifs, ils sont fortement construits. Il ne subordonne pas, comme certains de ses confrères, l’intérêt du récit à l’analyse des âmes, mais il ne sacrifie pas entièrement la psychologie à la rapidité de la narration. Il a soin d’inventer une action dramatique qui ne laisse pas languir la curiosité. Et sur cette fiction qui constitue la charpente de l’ouvrage, il bâtit sa thèse. Il signale une lacune du code, il flétrit un abus, il revendique un progrès. Et presque toujours ce qu’il demande est juste, probe et sain. Cet homme de lettres est un brave homme.

Telle fut sa tâche. En fut-il équitablement récompensé ? Assurément, il a connu les triomphes populaires, l’ivresse des éditions enlevées, la gloire de la « pile » sous les galeries de l’Odéon, et aussi, disons-le, la satisfaction du gain légitime et copieux. Mais à côté de ces jouissances il en est d’autres dont l’artiste, quand il a le cœur bien situé, est encore plus friand. Il est très doux de captiver un million de