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Théâtre-Libre. S’il a duré, s’il a laissé une empreinte, c’est qu’il répondait à un besoin réel, et non pas factice ; si M. Antoine a réussi dans son entreprise, c’est qu’il arrivait à l’heure exacte où il pouvait être utile... Il y a des moments, en art comme en histoire, où l’on attend l’avènement d’un Messie. Vers 1887, le théâtre languissait et se traînait péniblement dans les ornières du drame et du vaudeville. Les maîtres s’étaient retirés. Émile Augier n’écrivait plus ; Alexandre Dumas avait déposé la plume après le triomphe de Francillon ; Eug. Labiche moissonnait ses blés en Sologne ; Edouard Pailleron continuait de palper les droits du Monde où l’on s’ennuie. Et c’était tout. Les scènes de genre étaient exploitées par un syndicat d’auteurs dramatiques de troisième ordre, affiliés à quelques grands journaux parisiens et qui, en bons commerçants, faisaient le vide autour d’eux et éloignaient la concurrence... Toute pièce qui n’était pas signée Albert Millaud ou Jules Prével, ou Gondinet, ou W. Busnach, ou Albert Wolff, ne pouvait espérer franchir le seuil des Variétés, du Palais-Royal, ou du Gymnase. Les manuscrits s’empilaient contre ces portes fermées. Lorsque Antoine parut et s’écria : « Place aux jeunes ! » un immense cri d’allégresse et de reconnaissance monta vers lui. D’autre part, les deux ou trois mille dilettantes qui font et défont à Paris les réputations et qui étaient un peu fatigués de voir Gaston s’unir invariablement à Caroline au dernier acte des comédies se jetèrent avec gourmandise,