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plus ou moins conscientes de la foule. Ces conditions disparues, le dieu tombe de son piédestal, et, s’il ne possède pas une très forte personnalité, un tempérament de premier ordre, il se brise en mille miettes. Je crains que M. Ohnet ne demeure enseveli sous les quatre cents éditions du Maître de Forges... Ayons le courage de le constater : les livres qu’il a publiés à la suite de ce roman fameux ne le valent pas. Ni la Comtesse Sarah, ni Lise Fleuron, ni les Dames de Croix-Mort, ni Volonté, ne sauraient lui être comparés. Le Maître de Forges présentait un réel mérite ; c’était, dans son genre, un modèle. L’action en était très habilement conduite, rapide, pathétique ; les personnages avaient du relief, de la couleur ; ils avaient l’apparence de la vie, et l’on s’intéressait à leurs gestes. L’auteur avait accompli un effort louable dans la voie de l’analyse. Il ne sut pas ou ne voulut pas y persévérer. Il roula dans la puérilité des fictions romanesques ; il n’y ajouta point ce goût de vérité, ce sens philosophique par où se peuvent relever les plus frivoles compositions. Cela n’était pas précisément ennuyeux, — mais inutile et, par suite, indifférent.

Si le don de l’invention s’est un peu affaibli chez M. Georges Ohnet, la forme qu’il imprime à ses ouvrages ne s’est pas modifiée. Elle a gardé les imperfections qu’on lui a tant reprochées. La langue de M. Ohnet est médiocre et moyenne, grossoyée et dépourvue de délicatesse ; elle est de pâte commune,