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soit très libre, elle glisse rarement dans la basse ordure. Sur tout ce qu’il a produit, sauf deux ou trois feuillets des Blasphèmes, passe un souffle généreux et sain, comme une bonne odeur de farine, de foin coupé ou d’algues humides. On en eut l’impression très nette lors de la première représentation du Chemineau ; et c’est ce parfum sylvestre qui assura le succès du drame et qui fit oublier ce qu’il avait de poncif.

Donc, M. Jean Richepin a, sous mille formes, revendiqué le droit qu’a la créature de n’obéir qu’à l’impulsion de son cœur et de son esprit, et de secouer le joug des contraintes sociales… Et, par une anomalie surprenante, ce révolutionnaire est, au point de vue de la technique de son art, respectueux des traditions. Rien de plus pur que ses sonnets, rien de plus correct que ses ballades et de plus classique que ses alexandrins. Il rime honnêtement, il est très sage, il ne se permet tout au plus que les licences autorisées par Victor Hugo. Encore est-il, en bien des cas, plus timoré que son maître. Il s’est nettement séparé des écoles dissidentes et n’a pas caché le mépris que lui inspiraient les symbolistes, les décadents et autres instrumentistes. Il a cette opinion que la langue française, habilement maniée, suffit à tout dire, et qu’il est criminel de la torturer. Or, si M. Richepin est à ce point raisonnable, il faut l’attribuer à la solide culture qu’il a reçue. Il a été nourri de copieuses latinités, et il a puisé dans ses trois années