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L’épicier de lettres. Non ! J’ai relu la Nuit de mai.

Le symboliste. Ça revient au même.

L’épicier de lettres. Mon Dieu, mon cher confrère, j’ai gardé, je l’avoue, une tendresse de cœur pour Musset. On aime toujours un peu ceux qu’on a beaucoup aimés. Mais je ne suis point absolu dans mes idées. Je ne demande qu’à me convertir. Ouvrez-moi les yeux, j’y consens. Faites-moi toucher du doigt des beautés du « Prince de la jeunesse », et j’abjurerai mes erreurs, je baiserai la poussière, dans l’attitude d’un député musulman… Traduisez-moi un morceau de Stéphane Mallarmé, un tout petit morceau, le plus clair de tous ces morceaux…

Le symboliste. Je vous vois venir, beau masque. Vous êtes décidé à ne rien admettre. Il n’est pas de pire sourd…

L’épicier de lettres. Que risquez-vous d’essayer ?

Le symboliste. Vous jurez au moins de m’écouter en silence, de ne pas interrompre ma démonstration par des observations incongrues ?…

L’épicier de lettres. C’est juré !

Le symboliste. Je commence donc et, pour éclairer votre ignorance, je vous dirai ce que vous sauriez déjà, si vous aviez pris la peine de lire les lumineux commentaires de Francis Vielé-Griffin. Je vais vous formuler en deux mots la poétique du prince et son esthétique.

L’épicier de lettres. Je bois vos paroles.

Le symboliste. Le prince part de ce principe que