Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas de heurter l’opinion commune ; il dit sa pensée en toute franchise et trouve, pour l’exprimer, des mots décisifs. Personne n’a mieux défini le malaise dont souffre la nouvelle génération, et n’en a mieux démêlé les causes : « Il est certain que la génération dont je suis, accablée par les malheurs de la patrie, éprise surtout de libertés politiques, ayant eu la lourde tâche (dont elle s’est acquittée à son honneur) d’assurer la forme républicaine dans ce pays, a fait faillite à d’autres espérances. Elle a beaucoup fait pour le citoyen et peu de chose pour l’homme. » Et plus loin, cette observation si humaine et si profonde : « C’est dans le cœur même des hommes, plus fort que la raison, qu’il faut faire refleurir les résignations, la discipline et le sacrifice. On ne domptera légitimement l’esprit de révolte que si l’on satisfait l’esprit de justice, dont il n’est souvent que l’expression exaspérée et furieuse. »

On pourrait ramasser des traits semblables dans les milliers d’articles jetés par Henry Fouquier aux quatre vents de la presse, et en composer la matière d’un volume qui lui assurerait une place éminente parmi les moralistes français. Mais qui se chargera de ce travail ? Il n’en a pas le loisir : il est entraîné dans le tourbillon de son existence surmenée. Ah ! s’il pouvait s’arrêter, respirer, se ressaisir ! Mais non ! Il continuera de tourner sa meule jusqu’à ce qu’il tombe mort d’épuisement, Sisyphe du journalisme, martyr du labeur quotidien...