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approbatifs d’un petit gâteux content de vivre. Et quand Lahrier, crispé, l’interrogeait sur le mystère de cette gaîté intempestive, il ébauchait un geste vague, le geste de Thomme qui se comprend, un lent aller et retour de ses doigts de squelette séchait ses yeux baignés de larmes ; en sorte que c’était vraiment à prendre une trique et à taper dessus jusqu’à ce qu’il s’expliquât. » Ce n’est plus la bonhomie tranquille d’Henri Monnier. Courteline est âpre et cinglant. Il se fâche. Il serait homme, comme il le dit, à prendre une trique et à taper sur ce petit père Soupe, qui est pourtant bien inoffensif, mais qui symbolise tous les travers et toutes les déchéances de son métier. Qu’il parle des abus qui sévissent dans l’armée française, ou des laideurs de la bourgoisie, ou de l’abrutissement des joueurs de dominos, c’est avec la même fureur concentrée. Sous ses apparences de « pince-sans-rire », Courteline est le plus ardent des hommes : il est constamment en état d’ébullition. Et c’est ce frémissement intérieur qui fait la haute valeur de ses œuvres, et que certaines d’entre elles ont une saveur moliéresque. Dans un Client sérieux, il expose le cas d’un avocat qui se trouve appelé, au cours d’une audience, à occuper le siège du ministère public et qui accable sans vergogne l’accusé qu’il défendait quelques minutes auparavant. Cela est simplement admirable et d’une beauté classique. La légèreté de conscience de l’avocat s’étale avec une aisance souveraine. Cet