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naturels sont fondés le mérite et la gloire de M. Loti ? Si nous considérons la longue série de ses volumes, nous y relèverons quelques traits qui leur sont communs à tous, et qui me paraissent caractériser son tempérament. Et, d’abord, c’est une admirable sincérité. M. Loti est toujours sincère, même quand il se trompe, même quand il se contredit (cela lui arrive quelquefois). Il n’écrit que sous l’impulsion d’un sentiment vrai. S’il laisse tomber de sa plume des pages tristes, c’est qu’il a l’âme en deuil ; s’il pousse des cris de joie, c’est que son cœur est en fête. Nous sommes sûrs qu’il pense ce qu’il dit, et cette certitude nous inspire, tout ensemble, de la confiance et du respect. M. Loti possède donc une sensibilité très vive. De plus, sa sensibilité est très mobile ; elle varie sans cesse ; elle nous déconcerte, nous surprend et, par cela, nous attache. Ce romancier est un baromètre qu’influence le plus léger changement de température ; ses impressions se succèdent avec une surprenante rapidité ; il est indécis, ainsi que la plupart des sensitifs ; il passe d’un extrême à l’autre, d’une disposition à la disposition opposée. De là des doutes, des angoisses, des embarras qu’il nous confie en toute franchise et qu’il excelle à nous faire merveilleusement saisir. Enfin, M. Loti, qui s’analyse avec une rare perspicacité, a reçu la faculté d’exprimer exactement et complètement ce qu’il sent, de rendre l’infini détail de sa pensée, les plus subtiles, les plus fugitives nuances de ses sen-