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non seulement la maison, mais le jardin, et d’autres jardins, et une autre maisonnette. Le bohémien de jadis est devenu propriétaire foncier, ni plus ni moins qu’un parfait notaire. Il soigne ses rosiers, il s’amuse avec ses enfants, il se délasse des joies du travail par les joies de la famille. On inscrira sur sa tombe, s’il meurt demain : bon père, bon époux, citoyen intègre ; et l’on ajoutera à son épitaphe la devise des hommes de lettres économes et vaillants : liber libro… Mais Jean Richepin n’a pas envie de mourir et, sa plume aidant, le jardin de la rue Galvani finira par ressembler au parc de Versailles…

Je sais d’anciens camarades qui lui gardent rancune de cette prospérité. Pour ceux-là, ratés du Parnasse et vieux bohèmes croulants, tout poète qui ne finit pas à l’hôpital n’est pas un poète. Richepin a cessé d’avoir du talent dès l’instant où il a touché des droits d’auteur. Si jamais l’Académie lui ouvrait ses portes, il serait déshonoré. Et on l’accuse d’hypocrisie ! Et l'on met en doute sa sincérité…

J’estime au contraire que la vie de Jean Richepin est un chef-d’œuvre d’harmonie et de sagesse. Elle trahit un tempérament admirablement équilibré. Tout d’abord studieuse, puis agitée, mouvementée (à l’âge des fièvres amoureuses et des folles passions), puis tranquille, puis apaisée, cette existence est l’image d’un beau jour qui traverse successivement la fraîcheur de l’aube, l’ardeur du soleil et la