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courir sur lui de surprenantes légendes. On affirmait qu’il avait été chassé de l'École normale pour cause de mauvaises mœurs ; qu’on l’avait surpris une fois dans la chapelle de l’École, devant l’autel éclairé a giorno, ayant près de lui trois femmes (le gourmand !) qu’il était en train de confesser. Jeté dehors, repoussé par sa famille, on racontait encore que Jean Richepin s’était engagé dans une troupe de saltimbanques, qu’il avait dompté des bêtes féroces, lutté à main plate avec Marseille, couru les océans en qualité de mousse sur un vaisseau négrier et que rentré au gîte, après tant d’aventures, crevant de faim et mis au ban de la société, il composait des vers obscènes en caressant des Gothons de carrefour.

Tout n’était pas irréel dans ces contes bleus. Jean Richepin n’avait jamais souillé par un sacrilège la maison de la rue d’Ulm. Il en sortit pour aller se battre contre les Prussiens. Il ne fut pas repoussé par sa famille, mais sa famille était pauvre. Et il dut s’ingénier pour se procurer le pain quotidien. Son imagination était d’ailleurs vagabonde ; il adorait les verroteries, les costumes bariolés. Et enfin il avait lu, comme tous ceux de sa génération, les livres d’Henry Mürger ; il prenait au sérieux la vie de bohème et croyait sincèrement qu’un poète lyrique ne peut, sans déchoir, s’astreindre à une existence régulière et qu’il est tenu, par respect humain, de frayer avec la Cour des Miracles.