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Et ne croyez pas que leur haine ne s’attache qu’aux individualités supérieures. Ils s’abhorrent entre eux. A lire les notices qu’ils se consacrent, on les croirait animés d’un tendre esprit de sympathie et de confraternité. Mais interrogez-les séparément ; arrachez-leur des confidences ; et vous verrez comme ils s’entendent à draper leurs camarades, avec quelle clairvoyance acérée ils apprécient mutuellement leurs productions. Le sirop des dithyrambes tourne au vinaigre. Les applaudissements de théâtres font place aux conversations de couloirs. C’est l’éternelle histoire des perfidies et des lâchetés humaines...

Réjouissons-nous de la publication des Portraits du prochain siècle. Ce volume restera comme le témoignage d’un certain état d’esprit particulier à notre époque. Il fournira un piquant sujet d’article aux chroniqueurs du vingtième siècle qui, par hasard, le retrouveront dans l’étalage des bouquinistes et qui prendront en pitié nos vanités maladives. Ils liront, avec stupeur, ces complaisants éloges, décernés à des auteurs dont la renommée fut circonscrite entre le jardin du Luxembourg et le boulevard Saint-Michel. Et ce navrant exemple servira d’enseignement aux poètes d’alors, qui, selon toute apparence, ne seront pas moins infatués d’eux-mêmes ni moins ridicules que les contemporains de M. Jean Moréas...