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l’œuvre des auteurs en vogue. S’il fait du roman, on l’oppose victorieusement à Paul Bourget ; s’il est poète, on l’oppose à François Coppée ; s’il est homme de théâtre, on met ses fours bien au-dessus des succès d’Alexandre Dumas fils… Le débutant savoure avec délices cet encens, il accentue ses excentricités, c’est le seul moyen qu’il ait de maintenir son prestige. Il n’était qu’obscur, il devient indéchiffrable ; il n’était que malsain, il devient obscène. Toutefois, les années passent ; l’artiste, blanchissant, se blase sur le plaisir d’être compris de l’élite et ignoré de la foule. Que ne donnerait-il pas pour se débarrasser de cette auréole, pour goûter, enfin, les joies de l’universelle renommée !… Trop tard, hélas ! Il est marqué au sceau du destin…

Voilà bientôt dix ans que M. Francis Poictevin fait partie du groupe des « jeunes qui ont beaucoup de talent ». Je lui souhaite d’en sortir le plus tôt possible, au risque de rencontrer sur sa route un autre petit Poictevin qui le traitera d’épicier et de goitreux. Ce jour-là, l’auteur de Tout bas sera entré dans la gloire. Mais il n’y arrivera que s’il se décide à nous donner un vrai livre, et non plus des raclures de muscades, des rinçures de bouteilles, et de chétives pattes de mouche…