coup sur l’échelle de la vie, car elle avait dit :
— Je voudrais.
Maintenant, son âme était parfaite. Car, posséder plus beau que la lumière et plus poignant que les sons ne lui arracherait pas un autre cri. Elle avait reçu de la vie ce qu’elle donne : la souffrance et le désir. Qu’importe comment elle les avait pris ! Qu’importe, ô intelligence ! la baguette dont vous vous servez ! Une main sensible et qui se creuse peut recevoir notre univers.
Il semblait, vraiment, qu’elle fût au bout de sa tâche. Pour les privilégiés mêmes, pour ceux que gardent toutes les barrières, pour les moins distraits, pour les plus riches en attention, la Vie n’est pas seulement ce livre inépuisable qui ne fatigue jamais les genoux. Les yeux, même ceux de l’esprit, se ferment, et les oreilles, même celles du cœur, cherchent le silence dans le silence. Le Ciel épie cette lassitude ; mais quand, là-haut, on apprit : « Vous trouverez une statue… Allez-y… », les grands anges spéciaux, ceux des douleurs humaines, se regardèrent de leurs yeux farouches, qui ne sourient jamais, et, dans un vol terrifiant, lourd d’une chute infinie, ils s’abattirent, un soir, sur la maison du sculpteur.
Le tumulte de leurs ailes éveilla La Dormeuse, mais son âme héroïque ne défaillit point. Tel un écran sensible, elle se tendit, entière, au souffle des espaces inconnus. Les Khéroubs, aguerris, hésitèrent ; leur rude haleine de surmenés éprouvait le marbre patient.
— Ô Existence ! pensait l’attentive, est-ce encore vous ?
Le serviteur d’Iaveh tendit ses bras d’athlète et, de toute sa hâte, l’ange éleva d’un seul jet le marteau libérateur.
Petite Jurisprudence Pratique
Objets, jadis brevetés, tombés dans le domaine public. Dénomination. Vente. — Si, pour une raison quelconque, un objet, jadis breveté, est tombé dans le domaine public, tout fabricant, commerçant ou industriel, peut, sans déroger aux dispositions de la loi et sans avoir à craindre aucune réclamation de la part du fabricant initial, faire fabriquer ledit objet et le vendre ouvertement. La doctrine et la jurisprudence ne laissent aucun doute sur ce point.
Mais ce n’est pas tout que de fabriquer un appareil et un produit ; il faut le dénommer pour le présenter à l’acheteur.
Est-on autorisé à relever le nom dont l’objet était décoré lorsqu’il n’était pas encore tombé dans le domaine public ? Cela dépend de la dénomination jadis employée par le fabricant breveté.
Si la dénomination est un terme vulgaire, couramment employé dans le langage industriel, l’ancien nom peut être relevé impunément. (Exemple : filtre à soupape.)
Il n’en est plus de même si la dénomination est absolument fantaisiste ou arbitraire (Exemple : filtre Imperator) ; à plus forte raison si elle prend le nom de l’inventeur (Exemple : filtre X…), le nom du titulaire du brevet ne peut tomber dans le domaine public, car il n’est pas permis à tout autre qu’à l’ayant cause « de l’inventeur (cessionnaire ou héritier) de mettre en vente, sous le nom dudit inventeur, des appareils, produits ou objets qui ne proviennent pas de sa fabrication, quand bien même les appareils, produits ou objets n’auraient été vendus et facturés sous cette appellation illicite que sur la demande expresse des acheteurs ». (Cour de Paris, arrêt du 27 octobre 1910.)
La Vie Féminine
UN GUIDE PRATIQUE DES FAMILLES
j’ai reçu des quantités, des pluies de lettres, à propos de mon article du 1er janvier : « Vœux », — lettres si bonnes, si douces, si réconfortantes, que j’ai eu, je l’avoue à ma honte, la tentation d’en publier quelques-unes. Mais ce serait donner à la question et à ma personne une importance qu’elles n’ont ni l’une ni l’autre. Ce n’est pas parce qu’un bouillant sectaire « juge mon intolérable tolérance dangereuse », et l’écrit sans charité chrétienne, que je puis me dire « persécutée ». Si cette pensée m’était venue un instant, les nombreux encouragements de missionnaires, les lettres de protestation signées de braves et bons curés de campagne, eussent suffi à me rassurer. La sincérité finit toujours par être la plus forte, et je ne crois guère au pouvoir de la calomnie. Quelques feuilles de province continueront, sans doute ; à imprimer, de loin en loin, que Les Annales sont subversives et cherchent à corrompre la jeunesse, les honnêtes gens hausseront les épaules, et ce serait vraiment perdre son temps que de défoncer des portes ouvertes ou d’ergoter sur des choses que le public sait fort bien juger tout seul.
Je garderai donc cette « intolérable tolérance », qui met mon ennemi hors de lui, et continuerai à parler avec la même ardeur des Œuvres que je crois utiles, qu’elles soient laïques, protestantes ou de ma belle religion chrétienne.
Je détache, d’ailleurs, du Guide Pratique des Familles, que l’abbé Aubert m’a fait l’amitié de m’envoyer cette semaine, des conseils touchants, qui prouvent que « l’intolérable tolérance » — ô horreur ! — est pratiquée, même en soutane…
L’abbé Aubert adore les enfants, il les veut bien élevés, pieusement, naturellement, mais pratiquement aussi.
Lisez les deux petits portraits qu’il esquisse de l’enfant bien élevé et mal élevé :
« On reconnaît, l’enfant bien élevé à son attitude simple et modeste, empreinte d’une légère timidité. Son langage réservé, sa tenue correcte, sa démarche posée, sa manière de saluer, d’aborder, de répondre, décèlent la crainte respectueuse de mal faire ou de gêner quelqu’un. Il n’est jamais importun dans l’expression de ses désirs. Il évite les questions et curiosités déplacées. Sa docilité, son empressement joyeux à rendre les services réclamés, témoignent de son respect pour ses supérieurs. Sa bonté, sa douceur, sa cordialité envers ses camarades, surtout envers les petits et les faibles, font rechercher son aimable compagnie. Il est toujours d’une propreté méticuleuse. Il ignore les amusements qui salissent ou déchirent les vêtements. Ses livres, ses jouets ou autres objets, sont toujours bien tenus ou rangés avec grand soin.
» Au contraire, l’enfant mal élevé a un sans-gêne qui sied mal à son âge. On le voit regarder fixement les passants, gesticuler, lancer constamment des pierres. Les formules de politesse lui sont inconnues. Son langage est grossier, souvent imité de l’argot de la rue. Son bavardage irréfléchi, ses réflexions saugrenues, son besoin de mouvement qui l’empêche de rester en repos, ses plaintes, ses récriminations continuelles, fatiguent bien vite la bienveillance la plus éprouvée. Les plus justes punitions l’exaspèrent, marquant en lui l’absence de respect et l’esprit d’indépendance. Avec ses camarades, il est égoïste et frondeur : querelles, divisions, haines, pugilats, il suscite et dirige tout à sa fantaisie.
» L’esprit d’ordre lui fait complètement défaut. Ses vêtements, ses livres, ses jouets, sont toujours mal, tenus. Il laisse tout traîner au hasard. Son étourderie lui attire des accidents et des reproches continuels.
» L’idolâtrie de certaines mères tend à préparer une génération d’enfants guindés, fiers, hautains, revêches, libres d’allures, dont la soi-disant gentillesse et le développement précoce inspirent plus de sentiments pénibles que d’admiration : exagérations aussi funestes que le laisser aller. — Abbé A. Aubert. »
Et ce bon abbé dispense, dans son livre, une série de conseils des plus touchants, tantôt humains, tantôt divins, et toujours « maternels ». Il s’inquiète grandement de l’hygiène de la mère avant la naissance du bébé, de celle de l’enfant après qu’il a vu le jour ; il prie instamment les mères de nourrir leur bébé, et parle comme un médecin clairvoyant des méfaits de l’allaitement artificiel, des dangers du biberon mal nettoyé et de la supériorité du lait stérilisé ou pasteurisé ; il s’inquiète de la pesée du petit et, en passant, signale, avec force détails, les malaises de l’enfance auxquels, il faut prendre garde.
Il rend grâce à la charité privée et publique, sachant s’intéresser au sort des mères indigentes ; il se réjouit de la formation de ces Comités de dames vigilantes et dévouées, « qui se chargent de recueillir et de distribuer les secours nécessaires, avec toute la délicatesse et la circonspection que réclament certaines circonstances ».
« À ce sujet, dit-il, une charité prévoyante ne doit faire aucune exception : les mères coupables ont droit à la même vigilance, car l’enfant du vice n’en est pas moins créature humaine.
» L’État, secondé par la charité privée, possède des établissements comme la fondation Boucicaut, à Mont-Saint-Aignan (Seine-Inférieure), où les mères délaissées peuvent trouver, avec un abri sûr et discret, secours et protection. Ce bel exemple de charité et de dévouement à la cause sacrée de l’humanité indique assez aux familles chrétiennes et aux âmes compatissantes leur devoir en certaines circonstances délicates. »
Je crois, Dieu me pardonne, que notre abbé Aubert, lui aussi, fait preuve, de temps à autre, d’une « intolérable tolérance ». C’est pourquoi je l’aime bien. Mais pourvu qu’on ne l’accuse pas, lui aussi, de « faire fi des bonnes mœurs » !
TUNIS LA BLANCHE
Nous détachons, de ce curieux livre de Myriam Harry, cette page pittoresque, colorée comme un tableau, que toutes les femmes liront avec plaisir puisque toutes, maintenant, — et il faut les en féliciter, — sont plus ou moins « Croix-Rouge », « Femmes de France », infirmières, et s’intéressent aux coutumes de ces pays, où l’hygiène vient à peine de pénétrer. Tunis la Blanche est une suite de peintures, très joliment observées et rendues, de mœurs et de la vie orientales ; par cela même, nous mettons en garde les mères de ne point laisser le livre entre les mains de leurs filles.
Voici, embusqué dans l’angle du passage, un grand portail cintré et trois marches de granit. Des haillons s’y entassent, des loques s’y recroquevillent, un bâton sous les pieds et les genoux réunis au menton. Dans l’entrée des seigneurs-gardiens fument, les jambes croisées sur des divans. Nous nous heurtons