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XI
INTRODUCTION.

Mon cher Brisse,

À l’époque de controverse où nous sommes, on peut contester l’utilité de tous les journaux, mais je fais une exception pour le journal que vous allez fonder. Vous me demandez mon opinion, la voilà : mettez cette question sur le tapis, c’est-à-dire sur la nappe, et tous les hommes sachant vivre se rallieront à mon opinion. Je ne veux pas envisager l’utilité de votre journal au point de vue exclusif du progrès gastronomique, bien qu’il ne faille pas négliger ce côté matériel, mais je suis ravi de voir que vous donnerez la plus belle part de votre publication aux services qu’elle peut rendre à l’économie domestique. Puisque l’Académie des sciences n’a jamais proposé un prix à l’inventeur d’un nouveau plat, il est sans doute bon qu’une feuille spéciale remplisse cette lacune académique et s’efforce d’ajouter quelques articles au vieux répertoire de notre cuisine classique ; mais ce qu’il faut avant tout, c’est venir en aide aux familles, en neutralisant les dangers de la spoliation clandestine, et en supprimant les ruineux intermédiaires qui s’élèvent entre le producteur et le consommateur. S’il n’y a pas de lois contre les accapareurs des halles, il faut qu’un journal se fasse loi et veille aux intérêts des ménages. Où s’arrêtera le progrès de la hausse, au chapitre des comestibles ? Dieu le sait ; mais l’homme devine déjà que la vie sera bien difficile à faire, quand Paris, avec ses innombrables rues de palais, se sera donné un supplément d’un million de mangeurs, et quand par la force de l’attraction le travail des campagnes sera abandonné pour le travail des villes. Il faut donc se hâter, dans le présent, de résoudre cette grande question d’avenir ! N’obligeons pas nos neveux à être millionnaires sous peine de mort.

Votre ami dévoué,

Méry.