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GEORGETTE. C’est encore vrai ! mais c’est peut-être mal, Tristan, d’avoir dit tout cela de moi ?

TRISTAN. Mon Dieu !… c’est possible !… (Allant à Georgette qui s’est assise sur le divan et la consolant.) Voyons, que tu es bête… écoute donc.

GEORGETTE. Laissez-moi tranquille.

TRISTAN. Admettons que j’ai eu tort… mais qui me dit que je suis le seul ?… et que cette lettre… Voyons donc ! (Lisant.) « Ma chère cousine… » Ah !

GEORGETTE. Oui… un parent éloigné… ne lisez pas… je vous en prie.

TRISTAN. pourquoi donc ! Vous avez bien lu la mienne ! Est-ce que nous allons nous gêner à présent ? (Lisant.) « Puisque tu as bien réfléchi, et que tu me dis que tu es lasse de vivre avec un brutal. » (À Georgette.) Ah !

GEORGETTE, confuse. Il y a ça ?

TRISTAN. En six lettres !… (À lui-même.) Un brutal !… Eh bien ! oui, c’est vrai… je le suis… quelquefois… j’ai mes jours… mais si vous me l’aviez dit, Georgette, J’aurais tâché de me corriger. (Lisant. « Un ivrogne… »

GEORGETTE, avec embarras. Il y a ça ?

TRISTAN. En sept lettres ! moi ! ivrogne ! Si l’on peut dire de pareilles choses !

GEORGETTE, timidement. Cependant, Tristan, rappelez-vous… quand parfois vous rentriez… et que…

TRISTAN. Tu me faisais du thé… Oui… je me souviens… j’avais aussi mes jours… les jours de gibelote… Oh ! si j’avais su que ça te déplaisait… (Lui montrant la lettre.) Y en a-t-il encore ?

GEORGETTE. Oh ! mon Dieu ! lisez tout… allez… pendant que vous y êtes.

TRISTAN. En effet, ça me donnera une idée exacte de l’opinion que je peux avoir de moi-même. (Il lit bas.) BIen. bien !… courage !… Le portrait est peut-être ressemblant, mais, à coup sûr, il n’est pas flatté !… Que vois-je ?… (Il lit haut.) « Le paysan réparera la faute du bourgeois… et, malgré ton passé, je te nommerai ma femme. » Toi… mariée ! Georgette ![1]

GEORGETTE. Oui, monsieur, oui !

TRISTAN, presque à lui-même. Il a du bon, ce paysan-là !

GEORGETTE. Ai-je donc eu tort d’accepter l’offre désintéressée d’un honnête garçon, puisque vous… Oh ! je ne vous blâme pas… vous pensiez à en épouser une autre… voilà mon excuse, à moi !

TRISTAN. Eh ! mon Dieu, chacun a la sienne, ici-bas !

GEORGETTE. Vous aussi, peut-être ?

TRISTAN. Pourquoi pas ?… J’étais arrivé au bout de mon rouleau… plus le sou… à peu près !… et je suis paresseux !… La vie militaire… ça déshabitue du travail… on n’est plus bon à grand’chose… il ne me restait plus qu’à reprendre du service… ou à me brûler la cervelle. Tristan, Georgette.

GEORGETTE. Oh !

TRISTAN. Bast ! c’est sitôt fait !… Quand un camarade, mon ami Trinquet, me dit un jour : Que tu es bête, Tristan ! Comment, lues un ancien maréchal des logis chef aux spahis, tu es bel homme, décoré…

GEORGETTE. Ah ! vous avez la croix, Tristan ?… et vous ne me l’avez jamais dit ?

TRISTAN. Non… je ne la porte pas… parce que… un bambocheur… un ivrogne… comme vous dites… on ne sait pas ce qui pourrait arriver… et il est des choses qu’il faut respecter, Georgette. Je gardais ça pour un temps plus calme !… « Profite donc donc de tes avantages, me répétait l’ami Trinquet, marie-toi ! » -Et un beau matin, il m’a conduit chez un monsieur… Bonnefoi, je crois… un particulier qui fait des mariages au plus juste prix, et qui m’a dit : Mais j’ai votre affaire ; un parti superbe, cent mille francs… élevée à Saint-Denis… On m’a présenté… le physique a produit son effet ordinaire… j’ai été accepté… Ah ! par exemple, j’ai tout dit… je n’ai rien caché… on m’a répondu… Rompez !… et de lundi en quinze, nous devons pousser une reconnaissance du côté de Saint Thomas-d’Aquin…

GEORGETTE.[2] Ah ! sitôt !… Allons… vous serez presque riche… tant mieux pour vous, Tristan !… Puissiez-vous être heureux !… c’est tout le mal que je vous souhaite.

TRISTAN. Et toi aussi, Georgette… puisses-tu être heureuse ! c’est le vœu que je forme du fond de mon cœur ! Je ne sais ce que j’ai, vois-tu !… je sens mon œil qui s’humecte… je l’avoue, moi, ça me fait un effet… Ah ! c’est pénible de se quitter… quand on a vécu ensemble pendant deux ans !

GEORGETTE. Deux ans et deux mois.

TRISTAN. Tu as raison.

GEORGETTE. Et j’ai cru longtemps que… (Vivement.) Allons, partons !… ça ne nous avancera à rien de rester là !

TRISTAN. Au contraire.

GEORGETTE. Passez-moi mon chapeau !… voulez-vous ?

TRISTAN, lui donnant son chapeau.[3] Volontiers… et ton mantelet ?

GEORGETTE. Donnez !

TRISTAN, ajustant le mantelet sur les épaules de Georgette. Dire que je l’arrange pour la dernière fois ! (Il lui donne un baiser sur le cou.)

GEORGETTE. Tristan !

TRISTAN. C’est le baiser de l’étrier.

GEORGETTE. Voyons, venez-vous ?

TRISTAN. Quand tu voudras.

GEORGETTE, s’asseyant sur une chaise. Eh bien ! partons !

TRISTAN, idem. Oui… il faut en finir !

GEORGETTE. Qu’est-ce que vous faites donc ?

TRISTAN. Je t’attends.

GEORGETTE. C’est moi qui vous attends.


  1. Georgette, Tristan.
  2. Tristan, Georgette.
  3. Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : aucun texte n’a été fourni pour les références nommées p11n3