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le mystère du b 14

Ce fut donc à lui que le substitut renouvela sa demande :

— C’est facile, Monsieur, répondit le contrôleur, et pourvu que la visite soit rapide et que nous ne perdions pas trop de temps…

Le substitut eut un geste vague.

— D’ailleurs, reprit le contrôleur, voici ma feuille de bord !

Et, tirant de sa poche un papier où se trouvait le plan de son train, il expliqua :

— En partant de la gare d’Arène, j’ai chargé dix voyageurs : sept dans la première voiture : c’est une famille, le père, la mère, trois enfants et deux domestiques ; dans la seconde voiture, un voyageur seulement…

Et, baissant la voix :

— …Celui qui a été assassiné !… Enfin, dans la troisième et dernière voiture, deux voyageurs, séparés, chacun dans un compartiment… tous des Anglais, bien entendu…

— Nous allons voir !… fit le substitut.

— Pardon, Monsieur… fit alors observer le contrôleur… c’est que… tous ces voyageurs dorment…

— Ma foi… vous les réveillerez !… conclut le substitut. Il importe que je visite votre train… Vous comprenez pourquoi…

Le contrôleur eut un geste d’impuissance :

— Il est évident que nos règlements nous interdisent de réveiller nos voyageurs, qui ont payé fort cher le droit d’être tranquilles, mais… dans ces circonstances… D’ailleurs, Monsieur le substitut, vous prenez l’entière responsabilité de la chose…

Le substitut eut un sourire indiquant que cette responsabilité était fort légère à ses pouvoirs discrétionnaires, et il suivit le contrôleur dans le premier wagon.

Il y eut quelque effarement parmi la famille anglaise que le contrôleur réveilla fort poliment en s’excusant du mieux qu’il put ; Rosic, d’un coup d’œil, avait inspecté les quatre compartiments, et son attention s’était arrêtée plus particulièrement sur le valet, tout vêtu, qui sommeillait dans un fauteuil, un journal aux pieds. Mais, sans doute, tout lui parut normal, car il cligna de l’œil vers le substitut, en lui murmurant :

— Rien à faire, ici !

Par le couloir, ils pénétrèrent dans la seconde voiture, tandis que le contrôleur faisait observer que, jusqu’à Valence, cette voiture avait été la troisième, la seconde ayant été garée dans cette dernière station.

— Dans ce sleeping, comme je vous l’ai dit, Monsieur, il y a deux voyageurs : un dans le compartiment n°1, et l’autre dans le 3.

Et ce disant, il ouvrit le premier compartiment : un homme étendu dans une couchette ronflait à poings fermés ; le contrôleur lui tapa doucement sur l’épaule : il se dressa Sur son séant, grotesque avec son madras de damas qui entourait sa tête rougeaude et laissant voir un pyjama impressionnant où était brodée en or une énorme couronne de baronnet, il hurla, les yeux hors de la tête :

What is it ?… Why do you awake me ?…

Et comme le contrôleur lui expliquait que c’était la justice qui perquisitionnait, à cause de certaine affaire importante, il sortit à moitié de son lit, tonnant d’une voix formidable :

I don’t mind ! I will complain to the King ! And bring to trial the Company !…

Le contrôleur eut un regard désolé vers le substitut qui, d’ailleurs, ne comprenait pas un mot d’anglais ; d’ailleurs, comme dans l’autre voiture, Rosic s’était rapidement fait une opinion, et il dit :

— Laissons dormir ce gentleman… et… allons dans l’autre compartiment !

Le pauvre contrôleur était vert d’émotion ; certes, ce n’était pas de sa faute, mais si le baron se plaignait, faisait un procès à la Compagnie, comme il en avait le droit, qui paierait la casse ? Le pauvre homme était obligé de se répondre que ce serait sûrement lui.

Aussi, ce fut bien à contre-cœur qu’il ouvrit le troisième compartiment.

Rosic y pénétra le premier, et, tout à coup, se retournant :

— Mais il est vide !

— Vide ? répéta le contrôleur atterré.

— Vous vous êtes trompé… c’est dans un autre…

— Je vous assure que c’est dans celui-là… J’ai assez l’habitude… c’est moi-même qui l’ai installé… je me souviens même qu’il m’a demandé s’il ne se trouvait pas sur les boggies, ce qui l’empêcherait de dormir…

— Alors ?

— Alors, répliqua le contrôleur, qui eut peur de comprendre.

— Voyons toujours les autres, opina le substitut.

Tout le train fut visité de fond en comble ; le dixième voyageur avait disparu ; le doute n’était plus possible : c’était lui l’assassin…

Le tout était de savoir où ce dixième voyageur avait pu descendre du B-14. En somme, il ne paraissait pas facile de pouvoir descendre du train sans être remarqué. Comme nous l’avons dit, le B-14 charge des voyageurs en