Page:Bringer - Le Mystère du B 14, 1927.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.
44
le mystère du b 14

— Mais nous ne sommes pas pauvres…

— Non… Nous avons de quoi vivre. Mais il faut encore que j’arrondisse ta dot, mignonne. Ah ! si tu étais comme certaine jeune fille sur la tête de qui, au moment où elle s’y attend le moins, vont choir quelque cent millions de fortune…

— Cent millions ! s’exclamèrent les deux jeunes filles.

— Pour le moins…

— Quel est ce conte de fée ?

— Ma foi, on pourrait en faire un roman, qui se nommerait Le Poignard de Cristal… Satané roman, d’ailleurs, où j’ai joué, n’en dites rien à personne, un rôle assez ridicule, et qui est cause que, sans profit, depuis quatre jours, je mène une vie de damné…

— Papa, racontez-nous ?…

— Oui, un de ces jours… Ce serait trop long. Et je suis trop fatigué. Aussi, mes belles, dès ma dernière bouchée, me permettrez-vous d’aller me mettre au lit…

— Pauvre papa…

— Pauvre monsieur Rosic…

En effet, ayant fini de dîner, M. Rosic jeta sa serviette sur la table, et, sans même vouloir prendre une tasse de café il se levait déjà pour monter dans sa chambre, quand un coup de sonnette violent ébranla le silence de la maison et les fit sursauter tous les trois.

La bonne était allée ouvrir et elle parlementait sans doute avec le visiteur, quand on l’entendit qui poussait un cri, et, avant que M. Rosic eût pu courir à son secours, un homme surgissait dans la salle à manger, comme un fou, en criant :

— Monsieur Rosic !… Monsieur Rosic !… le veux parler à M. Rosic, fût-il mort.

C’était W. R. Burnt.

Mais un W. R. Burnt dans un état tel que jamais les amis de ce flegmatique gentleman n’eussent voulu le reconnaître, les yeux désorbités, les cheveux hérissés, le souffle court, le visage couleur de brique et tout baigné de sueur.

— Mais me voilà, cria Rosic effrayé… me voilà. Que se passe-t-il donc ?

Les deux jeunes filles s’étaient dressées et, apeurées, regardaient cet inconnu qui arrivait comme un dément, s’apprêtant à prendre la fuite.

W. R. Burnt se rua sur Rosic :

— Ah !… c’est vous… Enfin… J’ai cru que je n’arriverais jamais à vous dénicher… Dites-moi… vite… Qu’avez-vous fait de Gladys Sweet ?…

Rosic regarda W. R. Burnt. Que voulait-il dire ? Est-ce que le Cristal-Dagger était subitement devenu fou ?

— Mais répondez donc, hurla Burnt, en saisissant Rosic par le revers de son veston, et le secouant ainsi qu’un prunier dont on veut faire tomber les fruits

— Mais… la voilà.. fit alors Rosic, en désignant la jeune fille.

W. R. Burnt se tourna vers la gouvernante :

— Elle ?… C’est bien elle ?…

Et se dirigeant vers elle :

— Êtes-vous née aux Indes ?

— Oui, répondit l’autre, plus tremblante qu’une feuille et ne comprenant rien à cette étrange scène.

— Votre mère est-elle morte sur le bateau qui vous amenait en France, il y a huit ans ?

— Oui.

— Votre grand-père, là-bas, ne se nommait-il point M. Doux ?

— Oui.

Et alors on vit cette chose extraordinaire : le calme, le grave, le froid sir William-Ralph Burnt se mit à danser au milieu du salon en criant :

— C’est elle… Je l’ai trouvée… C’est la fille de mon vieux damné Bob…

Et, tout à coup, Rosic comprit.

— Quoi, s’écria-t-il, Gladys serait l’héritière de lord Hyton ?

— N’en doutez pas… D’ailleurs, rien que sa ressemblance avec sa pauvre mère le prouve. Regardez… Ah !… il était inutile que je l’interroge…

Et, sortant de son portefeuille une miniature, il la montra à Rosic.

On eût pu croire que c’était le portrait récent de Gladys Sweet.

— C’est le portrait de Mlle Doux quand elle épousa mon pauvre Bob. Ah ! mademoiselle… Hello Gladys… Cheer up… I am very glad…

Et il ne savait plus ce qu’il disait, les mots français et anglais se pressaient sur ses lèvres, il avait pris les mains de la jeune fille et il les secouait. Puis, finalement, l’attirant vers lui, il la pressa longuement sur sa poitrine.

Rosic était comme frappé par la foudre. Quoi ! Gladys, cette petite orpheline qu’il avait pour ainsi dire recueillie chez lui, la gouvernante de sa fille, était l’héritière de ce lord Hyton, dont Burnt lui avait dit qu’il possédait une centaine de millions… Gladys était une lady, une pairesse… l’héroïne de ce véritable conte de fées dont il parlait tout à l’heure. Et elle était aussi cette héritière

pour qui tant de sang avait été versé, qui