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le mystère du b 14

cendant machinalement la rue Montmartre… J’y perdrai la raison et je n’ai pas envie de devenir fou… Après tout… l’affaire est classée… Comme l’a si bien dit M. Chaulvet, la justice possède une victime, elle sait que l’assassin a été tué à Saint-Rambert… qu’importe le reste, je suis bien bon de me tournebouler l’esprit… Après tout ce Burnt m’a joué… Mais il est à Londres… Il m’échappe, et d’ailleurs, que pouvais-je contre lui… Il m’a volé sa valise… C’était son droit… Je retourne à Lyon et au diable cette sotte affaire du poignard de cristal…

Il arrêta un fiacre, se fit conduire à la gare de Lyon, monta au buffet, s’offrit un plantureux déjeuner, arrosé de vins délicats, et, à deux heures montait paisiblement dans le train qui, le soir, allait le mener à sa villa du coteau de Sainte-Foy, bien décidé à ne plus penser à W.-R. Burnt, au poignard de cristal et à toute cette angoissante affaire qui avait failli lui faire perdre la raison…

Mais, comme il allait monter le marchepied de son wagon, il entendit une voix derrière lui qui disait :

— Monsieur Rosic… Monsieur Rosic…

Il se détourna et faillit tomber à la renverse… Burnt était devant lui… Il crut qu’il était fou… Mais, non, Burnt souriait. Burnt lui tendait une valise. Burnt lui disait :

— Je vous demande pardon, Monsieur Rosic. Je vous cherche depuis deux jours… Voilà votre valise que l’autre jour, par mégarde, j’avais prise pour la mienne…


xiii

le monsieur qui attendait le b-14



Ce jour-là, vers les deux heures de relevée, un petit homme roux arpentait fébrilement les quais déserts de la gare maritime de Calais.

Il était vêtu d’un costume bleu dont le gilet ouvrait largement sur une chemise de flanelle blanche ; sa chevelure ardente, de cette couleur particulière de brioche trop cuite était coiffée d’une casquette d’officier de marine sans insigne ni galon sauf une ganse de soie noire.

Il paraissait avoir trente ans à peine et, malgré le rembourrage qui cherchait à l’équilibrer, il était facile de voir qu’une de ses épaules était plus haute que l’autre, sans qu’il fût possible de dire qu’il était positivement bossu.

Très laid, d’ailleurs, l’œil louche, le teint jaune, mais dans toute son allure ce je ne sais quoi d’aristocratique qui trahit malgré tout la noblesse de l’origine.

Il y avait une heure à peine un yacht fort luxueux portant sur ses bossoirs ce nom The Sea-Gull avait accosté dans le port, et presque aussitôt ce gentleman en était sorti se dirigeant vers la gare maritime où il attendait avec une impatience qu’il n’essayait pas de dissimuler.

Enfin, abordant un employé, il lui avait demandé, en un français où perçait l’accent britannique :

— Le Bombay-Express ?

— Monsieur il devrait être ici à une heure trente-cinq… Mais on nous signale qu’il a quelque retard…


— À quelle heure arrivera-t-il ?…

— Oh !… incessamment, car il est annoncé… D’ailleurs, voyez, le bateau qui doit transporter les dépêches et les voyageurs, s’il y en a, jusqu’à Douvres, est déjà sous pression et s’apprête à appareiller…

Le gentleman roux mit un doigt sur sa casquette et recommença à arpenter les trottoirs de la gare.

Mais voici que les quais s’animèrent ; les employés surgirent de tous côtés, et bientôt, on entendit un bruit qui indiquait que le fameux train arrivait.

En effet, bientôt il stoppa en gare, et l’on en vit descendre successivement une famille de cinq personnes, qu’accompagnaient deux domestiques et un gentleman rouge comme un beefsteak mal cuit et qui paraissait fort en colère…

Le gentleman roux regarda descendre tous ces voyageurs et parut assez stupéfait de ne point reconnaître la personne qu’il attendait, sans doute.

Les employés déchargeaient les sac de dépêches qu’ils transportaient sur le bateau qui était de l’autre côté du quai et bientôt le train, vidé de ses voyageurs comme de ses marchandises, se prépara à se retirer au garage…

C’est alors que, se dirigeant vers un employé portant sur sa casquette ces mots : Wagons-lits, le gentleman roux lui demanda :

— Vous n’avez pas d’autres voyageurs que ces huit personnes qui sont descendues…