Page:Bringer - Le Mystère du B 14, 1927.djvu/17

Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
le mystère du b 14
rencontre sur la route… Car il faut vous

dire…

Rosic consulta sa montre : il était onze heures et demie ; il demanda :

— Cet homme est, dites-vous, parti il y a une demi-heure ?

— Pour Lyon ?

— Oui…

— Il n’y arrivera pas avant deux heures et quart, fit Rosic à voix haute, mais comme se parlant à lui-même… Il y a du bon… Un télégramme et mes hommes vont le cueillir au saut du train !… Voilà une affaire bien menée !… Maintenant, j’ai le temps de vous écouter… Mais soyez bref !

Noré regardait Rosic avec des yeux agrandis par la stupéfaction ; il ne comprenait rien à ce que venait de dire le policier ; il parlait de faire arrêter cet homme ! C’était donc un malfaiteur ?

— Voyons… je vous écoute !… répéta Rosic.

— Eh ben !… eh ben !… voilà !… Je venais donc de Donzère… avec mon tape-cul… et, après le pont, vers le milieu de la chaussée qui domine les ramières, voilà un homme qui me dit comme ça :

— Pardon ! où mène cette route ?

— À Viviers, que j’y fais.

— C’est encore loin ?

— Quatre kilomètres… à peu près…

L’homme fait une moue ; alors, comme il n’était pas trop mal vêtu, et que je suis l’obligeance même, j’y fais :

— Y a une place à côté de moi, si le cœur vous en dit…

Sans prononcer un mot, l’homme grimpe ; je le regarde : il avait l’air assez distingué, mais pas causeur ; tout de même il n’ouvre pas la bouche, et à chacune de mes questions il ne répond que par oui et non ; ah ! il ne risquait pas de se compromettre !

Enfin, on arrive ; je le fais entrer dans la salle à manger et je lui demande ce qu’il veut. Il me dit :

— Rien pour le moment… ou plutôt si… Y a-t-il un banquier ici ?

— Oui, que j’y fais… M. Coconaz…

— Bon… je vais aller le voir.

— Pour ça, faut attendre… vu qu’il n’est pas six heures et que M. Coconaz n’est pas matinal…

— C’est que je suis pressé…

Et il me fait cette réponse stupéfiante :

— Je n’ai pas un sou sur moi… et je veux partir le plus tôt possible, car je veux être à Lyon avant ce soir…

— Vous connaissez M. Coconaz ?

— Non, qu’il fait.

J’en suis resté tellement épaté que je n’ai même pas eu la force de lui dire :

— Si vous croyez que M. Coconaz, qui est un peu serré, prête comme ça de l’argent au premier venu !

— Eh bien ! vous me croirez si vous voulez… Mais ce client-là est allé trouver M. Coconaz : il l’a forcé à se lever ; et il est revenu avec un beau billet de mille, dont je lui ai fait moi-même la monnaie, et, bien qu’il n’ait pris chez moi qu’une tasse de thé, il m’a laissé cinquante francs, aussi vrai que je m’appelle Honoré et que je suis le patron du Soleil d’Or, à Viviers-sur-Rhône !

— Eh bien ! mon ami, vous pouvez vous vanter d’avoir reçu cinquante francs d’un assassin ! conclut M. Rosic.

— Un assassin… cet homme !…

— Parfaitement… un assassin que, dans deux heures, mes hommes vont arrêter à la gare de Perrache !…

— Un assassin… ce monsieur à qui M. Coconaz prête des mille francs !…

— Pour ça, fit Rosic, nous allons voir ce qu’il en retourne… et si ce M. Coconaz n’a pas, à cette heure, trois pouces de couteau dans le ventre… eh bien !…

— Il aurait assassiné M. Coconaz !…

Noré était rouge comme une tomate, ce qui ne valait rien à son tempérament apoplectique ; il fit sauter le col de sa chemise, pour ne pas étouffer, et il criait :

— Assassiné M. Coconaz… et ce serait moi… Vite… vite, allons voir !…

Et il fila vers la maison du banquier, suivi de Rosic et de Lahuche, profondément troublé par cette aventure, par cette histoire invraisemblable où l’on marchait de surprises en surprises et d’émotions en émotions.

Or, comme Noré allait heurter à la porte de M. Coconaz, voici que la porte s’ouvrit, et M. Coconaz lui-même apparut, court, rougeaud, rond, et sa canne à la main, tout prêt à faire au bord du Rhône sa petite promenade matinale.

— Dieu soit loué !… cria Noré… Il ne vous a pas assassiné !

Qu’est-ce que tu chantes là !… fit M. Coconaz supposant que Noré devenait fou.

Mais Rosic s’approchait, et saluant :

— Monsieur, je suis Rosic, chef de la brigade mobile de Lyon, et je désirerais avoir de vous quelques éclaircissements !

— À votre disposition ! fit Coconaz. Donnez-vous la peine d’entrer !

— Monsieur, fit Rosic, quand il se fut