Page:Brifaut - Œuvres, t. 1, éd. Rives et Bignan, 1858.djvu/326

Cette page n’a pas encore été corrigée
300
RÉCITS D’UN VIEUX PARRAIN

rien fait de si beau. Mais vous savez son indolence ; il négligeait le soin de sa gloire comme celui de sa fortune. Je lui disais tous les jours : –Monsieur Delille, Monsieur Delille, ne vous fiez pas à votre mémoire ; dictez-moi ces vers-là, je veux les écrire pour qu’ils ne soient pas perdus. Eh bien, Monsieur, il ne m’a pas écoutée, il est mort, il a emporté dans la tombe son superbe poëme. Je m’étais déjà arrangée avec un libraire, qui m’en donnait un prix considérable ; mais bah voilà M. Delille ad patres, et l’ouvrage aussi. C’est dix mille francs qu’il m’enlève, Monsieur. Dix mille francs Et la respectable matrone de larmoyer, de sangloter à n’en pas finir en répétant sur tous les tons Dix mille francs, Monsieur, dix mille francs ! Je me sauvai résolu à ne plus remettre les pieds chez cette Artémise trafiquante, qu’en effet je n’ai pas revue, et qui s’est mieux passée, je crois, de mes visites que des pistoles du libraire.

Talma, qui, dans ma pièce, où il avait joué le rôle de ~Vm : M, s’était montré véritablement sublime ; Talma, que Madame de Genlis ne connaissait pas (elle avait dès longtemps renoncé au spectacle), faisait tant parler de lui à cette occasion dans le salon de l’Arsenal, qu’il prit fantaisie à notre femme auteur de juger par elle-même si le successeur de Lekain méritait sa réputation. Elle me pria de la faire diner avec lui. M. Sage, leur ami commun, offrit sa maison. J’y réunis à table ces deux illustrations différentes, et j’engageai le grand acteur à tout essayer pour conquérir un sutfrage de haut prix. On mit l’un à côté de l’autre ; mais, par malheur, en faisant sa leçon à Talma, j’avais oublié de donner à Madame de Genlis une petite instruction c’était d’encourager par quelques éloges préliminaires le timide débutant qu’elle allait entendre. Faute de cet avertissement, elle se livra tout entière à ses vieilles admirations théâtrales, le satura de