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SOUVENIRS

un orgueilleux délire, par la soif du chef-d’œuvre absolu!

Aujourd’hui ces artistes se croient des hommes de génie, demain ils se considéreront comme de simples crétins. 
Toujours du grenier à la cave ! 
Il suffit pour cela d’un nuage blanc qui passe et fait resplendir les tons du tableau ou d’un décolorant reflet d’azur. 
Oh ! si nous pouvions ne plus obéir aux chimères !
Je retrouve dans mon enfance le germe de cette susceptibilité maladive. 
J’avais cinq ou six ans. Il y avait une jeune couturière qui venait parfois travailler chez nous, et, comme on avait pour elle certains égards, on l’invitait à dîner à notre table. 
Elle était servie la dernière des grandes personnes,et moi, en ma qualité d’aîné, je l’étais le premier des enfants, ce qui faisait que l’on me passait l’assiette qu’elle avait eue devant elle et touchée de ses doigts. 

Or, cette jeune fille, ni déplaisante ni laide, plutôt agréable, avait un visage d’une grande douceur et qui eût dû, sinon me charmer, du moins ne m’inspirer aucun dégoût. Elle portait sur la joue gauche un de ces grains de beauté que, dans notre jargon d’enfants, nous appelions pain d'épice.