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nime celui-ci, et qui a dû lui montrer qu’il était enfin définitivement consacré.

« C’est drôle, me dit-il à cette occasion, beaucoup de gens, à l’Académie comme ailleurs, qui ne m’avaient jamais rien dit de mes autres vers, me parlent de ceux-ci avec enthousiasme !

— C’est peut-être, lui répondis-je, parce que, dans ces vers, notamment dans cet Enlèvement d’Europe, ils trouvent une tendresse amoureuse qu’ils ne vous soupçonnaient pas. Nous la sentions bien, nous autres, vos adeptes, au fond de vos vers, mais vous ne l’aviez jamais si bien exprimée a la surface.

— C’est vrai, ajouta-t-il : c’est que, voyez-vous, en vieillissant, je m’attendris de plus en plus. Je revis mes émotions premières. Lorsqu’on dit que les vieillards retournent en enfance, c’est vrai, je le sens, et c’est bon ! »

Hélas ! il ne devait plus vivre longtemps !

La dernière fois que nous le vîmes, ma femme et moi, il nous fit une bien triste impression.

Sa grande intelligence était toujours visible dans ses beaux yeux déjà à moitié éteints, mais le corps était irrémédiablement condamné.

Il sentait présente la mort tant de fois invoquée dans ses découragements de poète et il en ressentait une grande horreur, comme le bûcheron de son vieil ami de cœur, La Fontaine.

Nous lui dîmes : « Au revoir ! »