Page:Breton - La Vie d’un artiste, 1890.djvu/329

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
313
LA VIE D’UN ARTISTE

Un mouvement au portail. Apparaît la première bannière qu’il faut abaisser sous le cintre trop bas.

Elle est lourde et l’homme qui la porte, pour maintenir l’équilibre, est forcé de courir obliquement renversé en arrière ; il s’arrête, et, par un violent effort qui tend tous ses muscles, il la relève.

Un christ à tête de mort étend ses bras de squelette sur cette enseigne barbare.

Les tambours battent, mêlant leur bruit de guerre aux psaumes sacrés.

Ils sortent du noir portail, émergeant de l’ombre comme des portraits de Rembrandt. Ils sont trois : tête d’aigle, tête de christ, tête de bandit. Plan, plan, plan ! Ils s’avancent fiers et attendris.

Des fillettes mitrées d’or, aux robes rouges chargées de broderies, passent, portant la châsse, sanctuaire où tendent les yeux ardents.

Puis c’est le flot des pénitents. Ils vont trébuchant, tête basse, cierge expiatoire à la main, pieds et jambes nus, en corps de chemise sur leur poitrine velue, les yeux hagards et brûlés de fièvre, luisant dans le tas des chevelures fauves, noires ou grises, emmêlées et comme flottantes au vent du remords ; têtes parfois si décharnées qu’elles pourraient déjà figurer à l’ossuaire où les ancêtres nous regardent par leurs trous sans yeux, dans leur rictus ébréché.

Leurs maigres profils acérés tranchent sur les pieuses tendresses de ce champ étoilé, où tremblent, pâles comme des mortes, sous les ondes enflammées des cierges, les vierges incorporelles qui contemplent, du fond de leur extase, l’idéale patrie, et dont plus d’une, pour s’y envoler, n’attend plus que les premières fièvres de l’automne.