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LA VIE D’UN ARTISTE

coqs enroués dans la buée matinale annoncent à l’entour le recommencement de la vie rustique ; je m’étendis de nouveau, pris d’une douce torpeur, sur l’herbe à la fraîcheur de l’ombre où reluit l’azur, lorsque le grand silence de la méridienne semble plus muet encore au bruissement des insectes invisibles qui passent soudain dans la chaleur de midi.

Enivré de senteurs et d’harmonies naturelles, je me recueillais, dans la paresse des vagues flâneries.

Fi de l’atelier avec sa blafarde gerbe de jour qui tombe du zénith, terne et plombée, à travers l’éblouissement de la fenêtre, sur ces petits bo/iémitîis bleuis, dans leur ruine obscure autour de la sorcière faisant cuire leur soupe dans la marmite aux incantations. Je n’ai plus même le courage de les regarder.

Je les avais pourtant ébauchés avec assez d’entrain, d’après des maquettes en terre glaise que j’avais revêtues de chiffons mystérieusement, sans les montrer à personne, pas même à mes frères qui étaient venus parfois coller leurs yeux au trou de la serrure pour en saisir quelques parties. Or, le jour où je leur avais ouvert la porte, jugeant le tableau assez à l’effet, j’avais été désappointé de constater leur peu d’impression.

Depuis ils languissaient sur leur chevalet déserté, ces pauvres Bohémiens.

Mais le moment le plus charmant de la journée, c’était le soir après souper, de fumer notre pipe, assis sur des chaises à demi renversées, le dos au mur de la maison, et de laisser nos regards errer dans la rue où les vapeurs de la nuit commençaient à monter dans les vibrations de l’air encore chaud du jour.

Tout nageait dans une transparence blonde où surgissaient peu à peu les figures hâlées qui revenaient lentement des champs, le pas lourd, ou bien hissées sur les dômes de froment ou les tas d’herbes des chars balancés.