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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

santes. Il s’est fait de nouveau mon chevalier, ce qu’il considère comme un droit acquis, me donne le bras pour aller à table, s’y place à côté de moi et connaît le secret de me rendre ses attentions agréables.

Le Philadelphie ne ressemblait pas à ces jolis et commodes bateaux à vapeur auxquels je m’étais accoutumée en Amérique. Sous le pont, tout était étroit et sombre, cabinet, couloir, salle à manger. Afin d’être seule, j’avais pris la cabine au fond de l’arrière, on y sentait davantage les mouvements du navire ; mais ma cellule, petite et triangulaire, avec lucarne ronde du côté de la mer, était solitaire ; ne craignant pas le mal de mer, je m’y trouvais très-bien.

Parmi les passagers intéressants du bord, se trouvaient l’un des plus riches planteurs de la Louisiane et une jeune fille, son unique enfant, dont la mère était morte de la poitrine. Depuis son enfance la jeune fille avait été élevée en vue de la garantir de ce dangereux héritage ; on l’avait tenue à la campagne, beaucoup à l’air, on ne lui laissait pas porter de corset. Elle grandit ainsi, devint une jolie et florissante jeune personne ; puis on la conduisit dans le monde. Cette charmante fleur fut brisée après un hiver de corset et de bals dans les salons de la Nouvelle-Orléans ; les symptômes de la maladie qui avait enlevé la mère se montrèrent chez la fille, et firent connaître le danger qu’elle courait.

Rien de touchant comme de voir ce père, déjà avancé en âge, regarder son enfant en silence, les yeux troublés par les larmes qui les humectaient. Il y avait dans son expression un chagrin muet, le sentiment profond de ne pouvoir trouver de remède à ce mal. Sa fille levait parfois les yeux sur lui en souriant, on aurait dit un rayon de soleil : mais