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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

C’est ce que j’ai entendu dire hier à quelques personnes de ma connaissance et propriétaires d’esclaves. Je leur demandai quel était l’individu si méchant et si riche en même temps :

« Monsieur N., qui vous a invitée à sa grande fête de demain, » me répondit-on. Je m’en informai auprès d’autres personnes, ce fait était généralement connu. « Et cependant la meilleure société de la ville va chez lui ? dis-je avec surprise. Et vous prétendez que l’opinion publique protége l’esclave, punit le maître méchant ?

— Madame et mademoiselle N. sont si bonnes, si aimables ! c’est à cause d’elles qu’on va chez N. »

Je soupçonne que la richesse de cet homme a autant de part à cette indulgence que la bonté de sa femme et de sa fille. Je fis mes remerciments pour l’invitation, en m’excusant de ne pouvoir — l’accepter.

Pour que cette opinion publique si vantée se prononçât contre le riche propriétaire d’esclaves, il faudrait qu’un cas affreux et flagrant soit mis au jour. C’est ce qui vient d’arriver en Virginie. Un riche planteur a fait périr, il y a quelque temps, par le plus cruel traitement, l’un de ses esclaves de maison, son serviteur de confiance, et cela uniquement sur un soupçon. La chose était tellement affreuse qu’elle excita l’indignation générale, et le meurtrier fut appelé devant les tribunaux. « Si la justice avait fait son devoir, cet homme aurait été pendu, » dirent de bons propriétaires d’esclaves ; mais il est riche, il a sacrifié une partie considérable de sa fortune pour se rendre les magistrats favorables. Ils ont tourné et retourné l’affaire et la loi de telle façon, que l’arrêt, prononcé tout récemment, condamne le meurtrier seulement à cinq années de prison dans une maison de correction. Plusieurs personnes d’ici, qui ont