Page:Bremer - La vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 3.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
304
LA VIE DE FAMILLE

étaient déjà occupées. Nous pûmes jouir ainsi de l’air frais de la nuit. À mesure qu’elle avançait, les flots se calmaient ; les nuées étaient orageuses, l’air d’une chaleur accablante ; la traversée était dangereuse, et le bateau n’avait pas la meilleure réputation.

Mais je me tranquillisais en pensant : « quand la lune se lèvera !… » Je m’imagine que cet astre est mon ami ; dès mon enfance mes yeux ont été tournés vers lui, et j’ai dit son nom avant de pouvoir en prononcer d’autres. Mes premiers vers lui furent dédiés, ils étaient mauvais, mais la lune m’a toujours été favorable. Jamais encore, durant mes voyages sur mer, elle n’a manqué de dissiper les nuages, de calmer les flots et les vents troublés, c’est pourquoi j’ai toujours cherché à les arranger de manière à ce que la lune pût les éclairer. C’est le calcul que j’avais fait également pour celui-ci, et je ne m’étais pas trompée. Les nuages ne disparurent pas, il est vrai, mais ils restèrent immobiles ou se retirèrent en formant des groupes pittoresques. Les vagues continuèrent à rouler, non pas avec tempête ; des éclairs sillonnaient continuellement les nuages, sans tonnerre. Je jouissais de la vie agitée, non pas inquiétante du ciel et de la mer ; je me portais bien, quoique les autres passagers fussent tous plus ou moins malades, et je montais souvent sur le pont, pour jouir de ce beau spectacle. Dans l’intervalle je m’assoupissais, délicieusement rafraîchie par les vents de la mer qui entraient par la fenêtre ouverte.

Nous débarquâmes le lendemain et traversâmes la Caroline du Nord en chemin de fer ; des forêts de pins alternaient avec quelques endroits défrichés pour cultiver le coton et le maïs. Le pays était plat, uniforme, pauvre, excepté en séve de pins, d’où cet État a tiré son nom po-