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LA VIE DE FAMILLE

chambre secrète, j’ai trouvé, dans ce trou obscur, affreux, une demi-douzaine de pauvres enfants qui rendaient témoignage de la plus grande bêtise et bestialité. On les avait mis ici depuis quelque temps, pour essayer d’en faire des créatures tant soit peu humaines.

Le cimetière du Magnolia est une création nouvelle et grandiose, un honneur pour Charleston. Il est près de la mer, dont les vents purs et rafraîchissants passent par-dessus la ville des morts avec une animation vitale. On voit de trois côtés dans le fond, la forêt de magnolias et de cèdres, et, devant, la mer bleue. Le terrain est bas, mais non pas-marécageux ; on a creusé des canaux pour faire remonter la rivière et la mer, qui forment de petites îles et presqu’îles dans ce vaste lieu de sépulture. On y voyait çà et là de jolis groupes d’arbres du Sud. Le soin que le peuple américain prend du champ de repos de ses morts lui prophétise une longue vie sur la terre.

Je n’ai vu dans ce cimetière nouveau que deux monuments, mais ils ont chacun leur histoire tellement spéciale et différente, que je veux te les raconter en peu de mots.

L’un est celui d’une jeune fille, l’unique enfant de sa mère. Il lui arriva un jour de toucher un de ses yeux avec la main qui venait de palper une fleur vénéneuse appelée ici « l’ombre de la mort » (solanum nigrum) ; elle est jaune clair, jolie, et ressemble à nos fleurs de pommes de terre. Cet œil fut empoisonné ; il sortit de la tête, devint informe. Les souffrances qu’elle endurait et la croissance rongèrent la vie de la jeune fille. Elle se fana, mais avec beauté et piété ; ses douleurs et sa patience en firent un objet d’amour pour tous. Sa mère et elle transformèrent, par la force que donne la religion, cette route vers la tombe en une voie lumineuse, et « l’ombre de la nuit » n’eut point