Page:Bremer - La vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 3.djvu/292

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
284
LA VIE DE FAMILLE

c’est-à-dire une république de grues blanches. Elles se tenaient dans un îlot couvert d’arbres hauts et touffus. À l’approche du bateau à vapeur, la république s’élança en l’air comme un grand nuage, et s’abattit immédiatement après ; on aurait dit que l’îlot était couvert de neige.

Nous touchâmes à Jacksonville et à Sainte-Mary. La première de ces villes est en croissance, vu sa position favorable au commerce ; mais elle est située dans les sables, c’est un lieu horriblement chaud et désagréable. Nous y avons passé la nuit dans un hôtel qui ressemblait à une baraque en bois croulante. Sainte-Mary, plus ancienne de quelques années, a une position commerciale un peu moins bonne ; elle est en décroissance, mais plus agréable que Jacksonville, à raison des jolies plantations d’arbres touffus qui sont dans ses rues. En me promenant, j’ai rencontré un nègre bien mis d’environ cinquante ans, tatoué comme les Luccomans de Cuba, et lui ai adressé la parole en disant : « Vous êtes venu ici d’Afrique ? » Il répondit affirmativement. On l’avait amené de Cuba par fraude il y a plusieurs années ; maintenant, surveillant dans une plantation, il paraissait s’y trouver fort bien, était chrétien, content de l’être, et s’exprimait avec beaucoup de bon sens et de franchise ; il avait le visage ouvert et bon.

« Est-ce que vous ne désirez pas retourner en Afrique ? lui demandai-je.

— Oh ! oui, mame, je le voudrais bien ; on y est encore mieux qu’ici, répondit-il.

— Mais il vous arrive souvent dans votre pays de vous entre-tuer.

— On ne s’inquiète pas de cela, et beaucoup de gens vivent en paix.