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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

ravant le mari et la femme assis ensemble sur leurs bagages, en attendant avec calme et joie la barque qui devait les conduire à terre, puis de les voir dans le petit bateau avec enfants et ustensiles, se diriger du côté de la rive verdoyante, en nous faisant amicalement des signes pour nous dire adieu. Si seulement leur fille Polly avait été un peu plus ravissante ! Le dernier tourment qu’elle me laissa en guise de souvenir fut de s’accrocher à mon épaule comme on saisit un poteau de barrière, pour s’aider à passer par-dessus un banc, lorsque la voix de son père l’appela dans le bateau. Elle fleurira peut-être dans l’été de la Floride, pourra devenir une rose, épouser le commandant du fort Melun ou le propriétaire d’Entreprise.

Quand cette famille fut près du rivage, nous la perdîmes de vue, mais bientôt une lumière se montra dans une habitation près de l’endroit où elle était débarquée. Il faisait demi-jour, et le crépuscule augmentait rapidement, quoique le ciel fût entièrement clair. Je restai longtemps assise sur le pont en jouissant de cette scène. Le rivage sombre et bas semblait former une grande guirlande de myrte autour du lac, uni comme une glace. Des mouches luisantes brillaient çà et là, des poissons grands et petits formaient continuellement leurs cercles. L’oiseau du soir faisait entendre ses notes délicieuses sur le rivage, et les alligators y grommelaient une basse. Les nègres de notre petit bateau à vapeur se mirent à jouer des duos de violon et de flageolet, avec une animation, une mesure et un rhythme parfaits ; leurs mélodies étaient gaies et badines. Ils continuèrent jusque vers minuit. On ne voyait de la lumière sur la rive qu’en trois endroits : dans un plantation d’orangers appartenant à une veuve, à Entreprise, et la troisième dans la maisonnette des tourterelles no 3 ;