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LA VIE DE FAMILLE

moi ? Que sont les plaisirs et les jouissances ordinaires de la vie, dont j’ai eu soif comme un enfant, comparées à mes jouissances actuelles, qui peuvent devenir, qui deviendront celles d’un grand nombre, quand ils sauront que Dieu leur a donné des ailes et qu’ils auront appris à s’en servir ?

J’avançai ainsi toute pénétrée de sentiments de bonheur et de pensées heureuses jusqu’au moment où j’arrivai dans un endroit découvert de la forêt qu’on avait défriché, et où probablement il y avait eu autrefois une colonie. La place était abandonnée maintenant, la forêt entourait en silence ce lieu découvert et désert. On n’y voyait ni hommes ni animaux, la solitude était profonde et sauvage. J’avais tant joui de cette promenade du matin, que je voulus y faire participer madame Howland. J’allai la chercher et la trouvai assise sur le rivage au pied de quelques cyprès. Comme elle n’était pas disposée à me suivre, je m’assis près d’elle, en contemplant les petites fleurs blanches entourées d’une guirlande de feuilles qui nageaient sur l’eau : on aurait dit de petites îles. J’ignorais leurs noms ; mais je les avais déjà remarquées pendant notre navigation sur le fleuve. Comme elles croissaient près du rivage, je les examinai et découvris que la petite plante ne tenait à la terre que par une racine ou fil ; facilement usée et brisée par les flots et le vent, la petite plante voyage alors en pays étrangers au gré des ondes.

Une sorte de perturbation avait eu lieu ce matin-là à bord de la Sarah Spalding. Deux très-jeunes personnes, fort jolies, qui se trouvaient sur le bateau, sans mère ni amie, avaient donné lieu, par un peu de légèreté et d’irréflexion, à quelques hommes de se comporter à leur égard d’une manière peu délicate. Ceci avait produit une scène désagréable, qui le devint encore davantage, grâce à notre