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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

femme petite, jolie, ressemblant d’une manière frappante à madame L… par l’extérieur, les manières et le parler, mais il y a moins d’acier dans sa nature. On m’avait beaucoup parlé de sa vivacité et de sa grâce, je fus donc surprise de découvrir sur son visage la trace évidente d’un profond chagrin. Dans l’espace de deux ans elle avait perdu, coup sur coup, son frère et deux enfants. Depuis lors, madame Le Vert a renoncé au monde, dont elle était l’ornement, à toutes ses vanités. Elle s’est enfermée dans ses appartements, y a passé plusieurs mois en pleurant constamment. La visite de madame Worthly Montague à Mobile, son amabilité, sa sympathie pleine d’âme, tirèrent madame Le Vert de son état de mélancolie, et elle se remit insensiblement ; mais elle est encore en deuil, comme morte aux plaisirs du monde, et ne croit pas avoir la force de surmonter jamais le chagrin qui l’a pour ainsi dire écrasée. Cependant elle rit parfois de tout son cœur, mais on voit à ses yeux qu’elle a beaucoup pleuré.

Hier, dans l’après-dînée, elle m’a fait faire en voiture une belle promenade à travers une forêt de magnolias, sur les bords du golfe du Mexique. Le magnolia est un laurier dont le feuillage, de couleur foncée, est toujours vert. Il est irrégulier dans sa forme, grand, a une couronne presque constamment arrondie et touffue. De longues lianes descendent comme des voiles de ses bras forts et noueux entre les grottes formées par son feuillage. C’est un arbre romantique au plus haut degré, et, quand il fait éclore ses fleurs blanches embaumées, il rappelle un poëme de Byron.

L’air était délicieux. Les vagues du golfe se brisaient mollement et largement contre le rivage avec un grand murmure comprimé. La forêt était silencieuse, fraîche et verte : je me reposais, je respirais, je jouissais en harmo-