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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

deux races semblent s’être donné rendez-vous pour se combattre ou se réunir pacifiquement, on ne peut encore dire lequel.

Cuba sert en ce moment de champ de bataille entre deux fières souveraines ; il ne s’est point encore présenté de Pâris pour décider la querelle. Cette île est aussi le champ de bataille de la lumière et des ténèbres ; il est probable qu’on les verra rarement sur la terre aussi rapprochées et présentant un contraste aussi tranché.

Du côté de la nuit sont l’État et l’Église : l’État avec son gouvernement violent et despote, qui de l’Espagne gouverne aveuglément cette colonie lointaine par l’intermédiaire de délégués que la mère patrie ne peut surveiller, et nie aux indigènes le droit de se gouverner eux-mêmes ; l’Église, qui existe seulement dans des cérémonies splendides, et manque totalement de vie religieuse et spirituelle. Du côté de la nuit se trouve surtout l’esclavage : il se montre à Cuba sous sa forme la plus grossière, et le trafic des noirs avec l’Afrique se fait tous les jours, quoique pas ouvertement. L’administration de l’île se laisse corrompre avec de l’argent et ferme les yeux pour ne pas voir les millions de noirs qu’on importe tous les ans à Cuba. On prétend même qu’elle n’est pas fâchée intérieurement de voir l’île se peupler de sauvages africains, parce que la crainte de leurs forces non bridées (si on les lâchait un jour) empêche les Créoles de se soulever contre les gouvernants qu’ils doivent nécessairement haïr. L’administration opprime les propriétaires d’esclaves, ceux-ci oppriment les noirs, et ne connaissent d’autre moyen pour les contenir que le fouet et les chaînes. Il n’est pas rare de voir les planteurs de cannes à sucre pousser leurs esclaves plus rudement que des bêtes de somme, et exiger d’eux