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LA VIE DE FAMILLE

tendre des chansons moins jolies, ce n’est pas leur faute ; si leur inspiration est enchaînée comme leur âme et leur corps, il faut s’en prendre — à l’homme blanc. Qu’il lui rende la liberté et la laisse croître à la lumière de l’amour et de la civilisation chrétienne !

Plus avant dans la soirée, — l’une des plus belles que j’aie passées à Concordia, car l’air était rafraîchi par la pluie, et la pleine lune se levait avec splendeur au-dessus du principal corps de logis ; — nous nous assîmes au dehors, et regardâmes les cucullos voltiger, les feux briller dans le bohen. Les nègres ne peuvent pas vivre sans feu ; même par la plus grande chaleur ils aiment à l’allumer au centre de leurs chambres. Ils arrangent leurs lits en planches avec ou sans paille, et en se servant de branches feuillées, de haillons, de manière à les faire ressembler, autant que possible, à des tanières, dans lesquels ils aiment à dormir accroupis.

Je partirai demain de bonne heure pour la Havane, afin de m’embarquer le 8 sur « l’Isabelle » pour Charleston.

La danse sous l’amandier et la belle dame blanche qui y assistait comme une mère au milieu de ses enfants noirs est un tableau que je suis bien aise d’emporter d’ici. Mais j’emporte aussi le souvenir des paroles que le digne Don Félix m’a dites un soir, et qu’on ne peut récuser, venant de lui.

« Ah c’est un malheur que d’être esclave ! »

La bonne dame blanche ne peut donc pas protéger complétement le pauvre esclave noir !