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LA VIE DE FAMILLE

cri qui tient de celui des canards, mais bien plus fort ; ils le font entendre quand on ne leur a pas donné à manger au moment voulu. En pareille circonstance, s’ils voient madame de Carrera dehors, ils la suivent en grondant, on dirait qu’ils se plaignent à elle d’avoir été négligés. Leur mépris pour les poules et les oies ne peut se décrire, et les airs de grand seigneur avec lequel ils abaissent le regard sur les poules en passant, et comme s’ils étaient offensés de ce qu’elles osent se trouver sur leur route, est charmant. Les poules se sauvent, on les dirait subjuguées par l’air hautain des flamants et la conscience de leur infériorité ; mais les oies, grasses et larges, se vengent quelquefois en tendant le cou vers eux et en caquetant avec bruit, ce dont les orgueilleux flamants ne daignent pas s’apercevoir. Telle est la démocratie de la nature.

Du reste, les flamants sont un peu à sec maintenant. Il y a bien ici un bassin en pierre, qui est censé contenir de l’eau à leur intention, mais la sécheresse l’a presque desséché, ce qui n’empêche pas les flamants d’y prendre leur bain du matin avec grand bruit. Lorsqu’ils sont parvenus à mouiller un peu leurs ailes, ils se placent sur le gazon, les étendent pour les sécher au vent et au soleil, avec beaucoup de pompe et de dignité. Puis ils font un somme, debout sur une jambe sous le casuarin aux longues branches étendues, — l’arbre que les nègres choisissent pour se pendre. Ils posent leur long cou en l’ondulant comme un serpent leur dos.

Ici, comme partout sur la terre, on est rarement satisfait du temps que Dieu donne. Maintenant on désire la pluie à Cuba, comme nous pourrions le faire en Suède ; la chaleur et la poussière rouge la font souhaiter avec ardeur. Après avoir tant parlé, tant joui de la beauté de l’air et de