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LA VIE DE FAMILLE

ment. Toute cette contrée est couverte de cafetals, et à l’époque de leur prospérité, chacun d’eux a été, dit-on, un petit paradis. Ils luttaient ensemble de beauté, de luxe, et leurs propriétaires cherchaient à se surpasser par l’opulence de leur vie et de leur prodigue hospitalité. M. de Carrera était l’un des planteurs les plus en renom sous ce rapport, et sa bienfaisance était extrême. Il lui arriva un jour d’aller dîner chez un de ses voisins. Au moment de partir, sa volante avança dans la cour attelée de trois superbes chevaux ; tout le monde se précipite aux fenêtres pour les voir, car leur beauté était célèbre. Tandis que ces magnifiques animaux entraient au trot, une dame s’écria : « Ah ! que je serais heureuse si j’avais de pareils chevaux !

— Madame, ils sont à vous, » dit le galant Espagnol.

Effrayée du résultat de son exclamation, la dame voulut refuser, mais tout fut inutile. M. de Carrera fit sur-le-champ dételer ses chevaux, en emprunta deux de son hôte pour retourner chez lui, et la dame fut obligée de garder ce précieux cadeau. Tel était le luxe et le ton des cafetals dans leur bon temps. La décadence du café et deux grands ouragans ont changé la situation de cette partie de l’île. L’ouragan de 1848 renversa complétement la maison de madame de Carrera ; la bibliothèque et plusieurs collections précieuses furent entièrement perdues. Les livres, les tableaux qu’on parvint à tirer des décombres étaient gâtés par l’eau salée qui s’était avancée sur les terres pendant l’ouragan. On dit que le sol est encore malade par suite de cet affreux événement, que les arbres et les plantes n’ont pas repris leur première vigueur. Plusieurs grands arbres, entre autres un magnifique ceiba, sont encore couchés dans les champs ; mais de belles plan-